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LA LETTRE DU GOSHIN BUDOKAI printemps 2007

 

 

L’ART DE BIEN VIEILLIR


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Préambule

Le titre de cet article pourrait inciter les jeunes à se dispenser d’en aborder la lecture. Ce serait dommage car les effets du vieillissement se manifestent très tôt :

  • Beaucoup d’adolescents perdent irrémédiablement toute souplesse, faute d’une activité physique bien conduite ;
  • De jeunes adultes souffrent déjà de douleurs dorsales ou articulaires chroniques, conséquence du mépris — souvent inconscient — dans lequel ils ont tenu leur corps ;
  • Quantité d’individus, apathiques, résignés, sans ambition ni projets, sont vieux avant l’âge.

Mais, peut-être rejetez-vous l’idée de votre vieillesse, car elle vous fait peur ? Ou bien êtes-vous persuadé que le destin ne vous laisse aucune marge de manœuvre ? Ou encore que les désagréments de la vieillesse ne commencent pas avant les toutes dernières années de la vie ?

Folie ! Inconscience ! Méconnaissance ! Fatalisme rétrograde !

Réagissez ! et vite ! Car, au vieillissement biologique, inéluctable, s’ajoute un vieillissement mécanique, contrôlable, et un vieillissement mental, évitable.

Les mauvais traitements que vous vous infligez aujourd’hui entraîneront demain de multiples séquelles plus ou moins invalidantes. En revanche, si vous entretenez correctement votre corps et votre esprit, vous engrangerez à moyen et long termes de substantiels bénéfices. L’art de bien vieillir se cultive tout au long de sa vie.

 

Athlète de haut niveau … à 90 ans !

Les arts martiaux sont destinés à vous faire traverser l’existence le plus sereinement possible grâce à l’acquisition d’une technique d’autodéfense éprouvée et au développement d’un mental indéfectible. De plus, un entraînement régulier et bien conduit doit vous conférer une condition physique bien au-dessus de la moyenne. Ils constituent donc le support idéal d’un harmonieux vieillissement. Un séjour à Okinawa est édifiant : du jeune enfant au vénérable vieillard, une grande partie de la population se retrouve quotidiennement dans les dojos de karaté. Et les seniors ne sont pas là pour surveiller les enfants !

Qui n’a pas rêvé, devant la démonstration d’un très vieux maître d’art martial, d’être aussi alerte que lui quand le grand âge le rattrapera ? Car le constat est navrant : la grande majorité de nos concitoyens finissent dans un état de délabrement physique et mental consternant. Ce n’est pourtant pas une fatalité : une bonne hygiène de vie, de l’enthousiasme et une activité physique régulière améliorent notablement la perspective d’une vieillesse sereine et épanouie. Cependant, les arts martiaux ne détiennent pas l’exclusivité de la vieillesse heureuse ; la randonnée, le vélo, la natation, l’alpinisme recèlent de nombreux sportifs ayant allègrement dépassé l’âge de la retraite. L’actualité nous en livre régulièrement des exemples comme celui-ci : un guide suisse est mort récemment à 104 ans ; il avait mené son dernier client au sommet du Cervin (4478 mètres) à 90 ans. Je peux vous assurer que ce n'est pas une promenade de santé.

La question du jour est donc : quelle est la recette de ces vieillards épanouis et quelles erreurs ont-ils évitées ? Bien sûr, en cas d’agression meurtrière, l’art martial peut permettre de rester en vie, condition sine qua non pour vieillir ; je ne reviendrai plus sur cet avantage indiscutable.

Quelle que soit l’activité pratiquée, trois qualités caractérisent les vieillards heureux : ils sont motivés, dynamiques et (relativement) prudents.

 

Motivation

Pour entreprendre, il faut être motivé… ou obligé. L’enfant et l’adolescent subissent des obligations qui pourront se muter en motivation. L’adulte n’a généralement plus que deux obligations : gagner sa vie et élever ses enfants s’il en a. Certes, il est possible d’être très motivé pour son métier, mais si c’est votre seule motivation, à moins d’exercer en pleine nature ou d’être sportif professionnel, il va vous manquer le minimum d’activité physique indispensable. Si vous ne cultivez pas vous-même quelque autre motivation, vous risquez de sombrer rapidement dans une passivité morbide. Arrivé à l’âge de la retraite ce sera la catastrophe : au corps affaibli, car négligé va s’ajouter un effondrement du moral, l’inactivité devenant extrêmement pesante. Certains pensent échapper à cette sinistre fin en se construisant une belle motivation toute neuve. La mode est aux voyages ; voyageons ! Ce ne sera qu’un déguisement de leur passivité. Ils vont se faire promener, écouter un guide et surtout s’attabler, boire et manger jusqu’à ce que leur médecin mette un frein à ces plaisirs destructeurs.

La motivation se cultive. C’est dire qu’elle ne va pas apparaître spontanément ; c’est une construction de longue haleine. Les vétérans dynamiques ont construit leurs motivations dès leur jeunesse.

Dans ma carrière de professeur d’arts martiaux, j’ai vu plusieurs fois des gens arriver en disant être très motivés, s’entraîner deux ou trois fois par semaine pendant quelques mois, puis disparaître. La motivation ne se décrète pas ! Sinon elle est établie sur des idées préconçues qui colleront rarement avec l’enseignement prodigué dans un club. Il faut débuter avec un esprit ouvert et se laisser imprégner de la dynamique impulsée par le professeur. C’est le seul moyen de se retrouver en harmonie, de comprendre et d’assimiler le contenu des cours.

Il existe des motivations factices (motivations extrinsèques), comme l’attrait de la victoire, de l’argent ou de l’image du champion, mais la seule vraie motivation (motivation intrinsèque) est celle qui repose sur le plaisir de pratiquer. Or, ce plaisir ne vient pas tout de suite : il faut passer le stade de l’apprentissage. Selon l’activité, cela peut demander plusieurs années. Un peu de persévérance est nécessaire, mais si le plaisir n’apparaît pas, il peut s’avérer judicieux de changer d’activité : tout le monde ne s’épanouira pas dans l’eau, dans la neige ou dans un dojo.

On dit des gens qui pratiquent intensément depuis longtemps qu’ils sont « passionnés ». Je n’aime pas ce terme, car il est trop courant d’opposer la passion à la raison et je ne vois pas ce qui interdit de s’entraîner raisonnablement.

Prenons mon exemple, pas pour me mettre en valeur, mais parce que je suis sans doute la personne que je connais le mieux. Le mot passion a souvent été prononcé pour désigner mon investissement dans l’art martial ou dans l’alpinisme puisque je pratique les deux depuis autant d’années. Ma motivation semble d’un ordre différent pour chacune des deux activités. Pourtant, dans les deux cas la confrontation à soi-même est présente — cet aspect est capital car il est la source de la connaissance de soi. De plus, si l’art martial vise l’harmonie avec autrui, l’alpinisme tend vers l’harmonie avec la nature, en l’occurrence la montagne. Certes, autrui ou la montagne peuvent se montrer hostiles de manières différentes, mais c’est toujours l’harmonie que je recherche car la résolution d’un problème passe toujours par sa compréhension. La victoire brutale, physique ou oratoire, transforme le conflit ouvert en conflit larvé ; le vaincu, nature ou adversaire, finira bien par avoir sa revanche. Ainsi, ma motivation fondamentale est l’harmonie, principal pilier du bonheur. Harmonie avec la nature — j’en constitue une infime partie —, avec autrui — la vie est avant tout relationnelle — et avec moi-même — c’est la base de la santé mentale. Art martial et alpinisme constituent donc des voies pour m’élever vers cet objectif ultime. N’étant pas des buts ni des passions, ces activités sont susceptibles d’évoluer, voire même d’être remplacées. Ainsi, un accident de parcours n’entamera pas ma motivation, trop élevée pour être atteinte par les aléas de la vie.

Les événements, qui nous accaparent, la maladie, qui nous diminue, l’accident, qui nous handicape, peuvent et doivent être surmontés.
J’ai vu Patrick Tamburini, mon professeur, répéter des centaines de yoko geri avec la jambe dans le plâtre. Plus tard, à un ou deux mois de sa mort, alors que la radiothérapie lui avait brûlé la plus grande partie des poumons, il assurait presque normalement son cours de karaté si ce n’est le fait qu’il allait périodiquement puiser quelques bouffées d’oxygène à un appareil d’assistance respiratoire.
Maître Noro, aïkidoka réputé, a créé le kinomichi — forme de relaxation dynamique dérivée de l’aïkido comparable au tai-chi qui est dérivé du wu-shu (kung-fu) —, car les séquelles d’un terrible accident lui interdisaient de poursuivre l’enseignement de l’aïkido.
Voilà des exemples de forte motivation ; mais le plus intéressant est cette capacité à s’adapter aux événements, aussi pénibles soient-ils. Cela repose sur une motivation très forte, visant un objectif très élevé susceptible d’être atteint par différentes voies (do). « De nombreux chemins mènent au sommet de la montagne. »

Nous sommes très loin des motivations courantes, terre-à-terre, du style : « Je voudrais perdre un peu de ventre ! » ou « Je fais de la gym pour me changer les idées ! ». Elles s’écrouleront dès la première difficulté rencontrée. Pourtant, tout le monde connaît les bienfaits d’une vie active ; c’est pourquoi il est impératif que chacun développe et fortifie une haute et indestructible motivation. Et plus tôt vous aurez commencé, plus fort vous serez à un âge avancé.

Néanmoins, avec l’âge, la motivation peut et doit évoluer. Parmi mes collègues professeurs d’arts martiaux, beaucoup se désespèrent — certains ont même cessé de s’entraîner — de ne plus être aussi rapides, aussi puissants, aussi souples que dans leur prime jeunesse, preuve d’une motivation d’une banalité désespérante. En vieillissant, il est normal, passé l’acmé de la forme physique, de régresser — encore qu’un entraînement régulier puisse maintenir des performances de bon niveau très longtemps. Cette évidence devrait motiver tout le monde à développer des capacités mentales qui viendront progressivement compenser les déficiences physiques. Ainsi, la vitesse est-elle une notion relative qui intègre la surprise de l’adversaire. En travaillant sur l’observation de manière à porter une attaque au moment optimum vous donnerez l’impression à votre adversaire d’une vitesse phénoménale. Cette qualité peut s’améliorer à tout âge, comme de nombreuses autres caractéristiques mentales. L’objectif de l’entraînement d’un vieux karatéka n’est d’ailleurs plus de vaincre en combat, mais d’éviter celui-ci, la victoire en combat de rue ayant toujours un goût amer. Celui du vieux maître est de rayonner de sérénité, de joie et de bonheur.

La motivation prend l’allure d’un édifice pyramidal à étages :

  • En haut, règne son altesse drapée dans la philosophie ; elle est quasiment immuable. C’est votre raison de vivre, le but de votre existence, le lointain sommet que vous rêvez d’atteindre.
  • Dans les étages intermédiaires, résident les idées nobles ; plus concrètes, elles suivent l’air du temps, évoluent, mais toujours au service de la motivation souveraine. Ce sont les différentes voies qui conduisent au sommet de la montagne.
  • En bas, sont stockés les outils intellectuels, physiques et techniques qui vous permettront de parcourir la voie. Vous allez en changer souvent, au gré de l’inspiration et de vos désirs, afin d’éviter toute lassitude.

 

Dynamisme

Le dynamisme ne doit pas se confondre avec l’agitation qui est le plus souvent stérile. Le dynamisme est créatif ; c’est l’état d’esprit du chercheur, de l’explorateur, de celui qui ne s’arrête jamais sur ses acquis, qui va éternellement de l’avant. Ce qui peut se faire dans la plus grande sérénité.
Observez autour de vous les gens âgés. Vous découvrirez que les plus épanouis sont tous dynamiques, chacun à sa façon. Vous voulez vieillir comme eux ; soyez actif, car il n’y a ni joie ni bonheur dans la passivité.

Il existe un dynamisme intellectuel et un dynamisme physique. Ils sont de même essence ; tous deux ont soif de découvertes. Il faut développer les deux afin que le corps et l’esprit s’harmonisent. Dans les faits, ils sont souvent complémentaires, l’envie d’essayer ou d’innover précédant la réalisation technique. Ainsi un raid à ski sera généralement précédé d’une phase de recherche et de préparation : analyse des cartes géographiques, élaboration de l’itinéraire, préparation de la logistique. Au préalable, il aura fallu que l’envie naisse ; or c’est souvent lors d’une randonnée que l’on aperçoit au loin des cols ou des sommets où l’on aimerait bien diriger ses skis. Ainsi, c’est l’activité qui engendre l’activité.

Bien sûr, pour une majorité de personnes, ces phases concernent essentiellement le guide ou le collègue plus aguerri qui endosse une responsabilité équivalente. Cependant, si vous n’êtes pas compétent pour cette tâche, rien ne vous empêche d’y prendre part, de vous y intéresser afin d’acquérir petit à petit les compétences qui vous manquent. Les guides de montagne nomment les courses qu’ils réalisent avec des clients passifs et peu sportifs du doux nom de « traîne-couillon ». à méditer ! Et à transposer dans les activités que vous pratiquez.

Toutefois, certains guides, par crainte de perdre des clients, les maintiennent volontairement dans l’ignorance. Des professeurs d’arts martiaux en font autant, soit par incompétence, soit par peur d’exposer leurs lacunes et de voir leurs élèves fuir. Maître, professeur ou guide ont vocation à vous amener à leur niveau. En aucune manière, ils ne doivent être des entraves ; mais c’est vous qui devez fournir les efforts pour gravir les échelons de la maîtrise.
Envie quasi-permanente de vous confronter à la nouveauté, à la difficulté, au risque et prises d’initiative fréquentes sont les marques du dynamisme qui vous permettra cette ascension. Cela ne veut pas dire que vous devez changer d’activité tous les jours ; la découverte réside d’abord dans l’approfondissement. Cependant, approfondir, c’est aussi s’ouvrir aux idées novatrices ou prendre un nouveau chemin pour s’élever vers ses rêves.

L’enfant, l’adolescent ou le jeune adulte sont généralement pleins d’envies, de rêves, de projets, en perpétuelle attente de demain et, quand on attend, demain ne vient jamais assez vite. Le futur de la plupart des vieillards se réduit à la morne répétition de leurs petites habitudes ; leur vie est entièrement tournée vers le passé, les souvenirs meublent leur présent et cette vie écoulée vue en raccourci, comme elle a l’air courte ! comme le temps passe vite !
Si votre temps s’écoule trop vite, c’est que le passé vous accapare un peu trop. La nostalgie, précurseur de la passivité, s’installe en vous : attention danger !

Il faut vivre « ici et maintenant » selon un des grands principes du zen. Mais pour pouvoir pleinement savourer le présent, il est indispensable de l’avoir préparé. Vous devez aujourd’hui organiser vos joies de demain en vous servant de votre expérience passée. C’est ainsi que s’articulent le passé, le présent et l’avenir. Le passé doit être avant tout une accumulation de connaissances techniques. Si vous basculez dans un passé psychologique, si vous cultivez vos souvenirs, votre vie amorce son déclin car cet ancrage dans le passé est une entrave évidente à un épanouissement « ici et maintenant ». Idéalement, l’apogée de votre vie doit correspondre à votre mort. Cela signifie que, jusqu’aux derniers instants, vous aurez bâti des projets, avec dynamisme et enthousiasme. Les vieillards heureux s’inscrivent tous dans ce schéma.

Retrouvez donc vos anciens rêves, faites-en mûrir de nouveaux et étayez-les de projets concrets ! Pas trop fous pour paraître réalisables, un peu quand même pour être enthousiasmants.

Dans le cadre du karate-do, tous les pratiquants sentent bien la nécessité d’avancer. Répéter la même technique ou le même kata sans s’interroger sur leur fondement, leur intérêt, leurs variantes ou leurs applications, conduit immanquablement à la lassitude. La routine est une impasse. Pour vous sentir stimulé, vous devez découvrir quelque chose à chaque cours ; ce dont votre professeur doit avoir une conscience aiguë. L’apprentissage des techniques de base et des kata doit être rapidement relayé par un travail d’approfondissement, notamment avec les bunkai. Vous devez comprendre le caractère évolutif et infini de ceux-ci et percevoir que votre efficacité ne progressera qu’au travers d’un intense programme de décorticage et d’exploration des subtilités de votre art martial. Certes, vous pouvez vous fier à votre professeur et suivre scrupuleusement son enseignement mais cette attitude passive, incontournable au début, doit progressivement s’estomper. Arrivé au 1er dan, votre attitude doit devenir pro-active : vous pouvez évidemment suivre un entraînement, c’est même recommandé, mais vous devez rebondir sur ce qui vous est proposé. Il ne s’agit pas d’exécuter des mouvements différents, mais de percevoir les détails qui n’ont pas forcément été soulignés par le professeur et qui permettront d’exploiter les techniques de manière nuancée.

Si vous avez un bon professeur, vous constaterez une évolution permanente de son enseignement. Cela vous offrira un plaisir toujours renouvelé de suivre ses cours, mais ne vous dispensera pas de faire preuve de dynamisme, de curiosité et de créativité. Si votre professeur est sclérosé et radote, changez-en avant de vous lasser !

Dans toutes les activités physiques, le renouvellement régulier de l’approche de la discipline est un garant de la longévité de la pratique.
Ainsi préparé, vous pourrez rester actif aussi longtemps que vous le souhaiterez.

Cependant, la vie moderne distille tous les ingrédients nécessaires pour vous inciter à la passivité. Téléphone, ordinateur, console de jeux, téléviseur, automobile peuvent être de précieux outils au service de votre dynamisme ; mais force est de constater qu’ils sont trop souvent la source d’une passivité affligeante. De fait, leur attrait est tel qu’il est aisé de sombrer. Vous, sportif, avez la chance de connaître les avantages d’une activité physique bien conduite ; aussi vous est-il plus facile de rester actif. Néanmoins, devant le pouvoir addictif de ces attributs de la modernité, il convient d’être extrêmement vigilant. Pour ne pas en devenir esclave, vous devez leur livrer une véritable guerre car, si vous entretenez votre volonté et votre dynamisme, des gens sont payés pour vous capter, vous captiver et, littéralement, vous capturer. Avec le risque de finir comme ces millions de moutons dociles fascinés par les écrans qui masquent — c’est la fonction originale d’un écran — leur propre déchéance.

La gravité des conséquences de la passivité augmente avec l’âge. Si vous ressentez les premières atteintes du mal, quel que soit votre âge, réagissez immédiatement. Plus on attend, plus le mal devient incurable.

 

Prudence

N’attendez pas de moi que je réfrène les élans, parfois jugés suicidaires, de la jeunesse, des battants et autres aventuriers. Jamais rien de grand ne s’est réalisé sans une prise de risque.

Partie du Pôle Sud pour rejoindre la base française Dumont d'Urville en Terre Adélie lors de l'été austral 1999-2000, l'exploratrice Laurence de la Ferrière parcourt seule, dans des conditions extrêmes, plus de 3 000 km dont 1 800 jamais foulés par l'être humain, à l’aide d’un traîneau tiré par un grand cerf-volant (parafoil). Elle avait au préalable traversé le Groenland en autonomie totale.
En 1990, Catherine Destivelle réalise un projet longuement mûri : l'ascension en solo du pilier Bonatti aux Drus (massif du Mont Blanc). Pourquoi en solo ? « Ça donne le sentiment d'être très fort, invincible. On est très concentré, donc on grimpe d'une façon parfaite ». Dans les années 90, elle accomplit d'autres grandes courses marquantes en solo : l'ouverture, en dix jours et en plein hiver, d'une nouvelle voie extrêmement difficile, encore dans les Drus. Suivent les trois grandes faces nord mythiques des Alpes, toujours en solitaire et en hiver : Eiger, Grandes Jorasses et Cervin.
Maud Fontenoy traverse en 2003 l’atlantique à la rame, puis en 2006-2007, réalise en cinq mois, malgré un démâtage et un violent cyclone, un tour du monde à contre-courant à la voile et en solitaire.

Ces exemples féminins — choix délibéré — qui confirment, s’il en était besoin, que le dynamisme n’est pas l’apanage des hommes, amènent une évidente question : ces sportives de l’extrême sont-elles des rescapées de l’imprudence ?

Si nous recensions les décès liés à des tentatives d’exploit sportif, nous serions étonnés par la découverte d’un chiffre très bas. Évidemment, dans la plupart des cas, le risque vital est engagé, mais la préparation de ces athlètes atteint une perfection inimaginable pour le commun des mortels. Rien n’est laissé au hasard : condition physique, entraînement technique, choix du matériel, logistique, tout est minutieusement analysé. Les accidents possibles, les conditions météo exécrables et même les imprévus entrent dans le scénario. Alors oui ! le risque est bien présent, mais ils ont mis tous les atouts dans leur jeu pour en limiter au maximum l’incidence.

Ce qui est remarquable chez ces gens là, c’est le refus d’une vie terne, médiocre. Ordinaire en somme ! Certes au prix d’un risque mortel.
La plupart d’entre-vous ne mènerez pas une vie aussi aventureuse. Cependant, si vous escomptez une existence radieuse, sortez de la routine, bousculez-vous, lancez-vous des défis, prenez des risques.

Ne craignez pas la mort ! Craignez de vivre mal !

La crainte de la mort est le pire obstacle au dynamisme. Cela ne signifie pas que l’on doit être suicidaire. Quand on entreprend quelque chose de difficile, on s’arrange pour réunir tous les ingrédients de la réussite, mais il doit rester une part de risque : c’est le piment de la vie.
En revanche, il est dommageable de détruire sa capacité à bien vivre. En d’autres termes, vous, qui êtes motivé et dynamique, devez être prudent sur l’utilisation que vous faites de votre corps si vous souhaitez vieillir dans de bonnes conditions. Or, dans la vie courante comme dans les entraînements sportifs, beaucoup d’erreurs sont commises. Et il n’est pire situation que celle où un esprit entreprenant se désespère devant un corps qui refuse de le suivre.

Violentez votre esprit mais préservez votre corps.
Pour rester efficient, vous avez besoin :

  • D’air pur ;
  • D’une alimentation saine et équilibrée ;
  • D’exercice respectueux de votre intégrité corporelle ;
  • De repos.

 

Air pur

A priori, vous ne pouvez pas grand chose sur l’air que vous respirez — peut-être, comme le suggérait Alphonse Allais, faudrait-il construire les villes à la campagne ! Cependant vous pouvez éviter quelques erreurs courantes :

  • Pourquoi polluer votre air avec la fumée du tabac ou un quelconque autre poison ?
  • Un local mal aéré devient toxique ; pensez à ouvrir régulièrement les fenêtres.
  • La poussière n’est pas l’ami des bronches ; soyez rigoureux avec le ménage.
  • Choisissez des loisirs au grand air plutôt qu’en des lieux clos, enfumés et pollués.

 

Alimentation saine et équilibrée

J’ai déjà rédigé un article sur la diététique. Il constitue le B, A, BA mais est largement insuffisant pour élaborer des repas équilibrés.

Bien se nourrir est essentiel à la santé, à la forme physique et mentale, à court terme comme à long terme. Il serait donc souhaitable que chacun étudie consciencieusement cet art de bien manger. En comprendre les arcanes nécessite un niveau de fin d’études secondaires. Comme on nous annonce actuellement une proportion d’environ 80% de bacheliers dans une tranche d’âge, cette connaissance semble accessible au plus grand nombre. Cependant, ne confondez pas une véritable étude de la diététique avec ces pseudo-connaissances glanées au fil des lectures de revues et magazines qui confondent diététique et cure d’amaigrissement. Je suis régulièrement effaré de voir des gens qui prétendent manger équilibré commettre de très graves erreurs alimentaires. Je conseille donc à tous de se plonger dans un bon cours de diététique ou de le réviser si l’apprentissage date un peu.

Beaucoup de Français mangent trop de protéines animales : viande et charcuterie en particulier. Leurs articulations deviennent alors facilement douloureuses s’ils pratiquent un sport. Le responsable est l’acide urique, produit de dégradation des protéines. La solution est simple : diminuer la ration protéique.

A contrario, certains sont tentés par un régime végétarien. Attention ! vous avez besoin de protéines. Si vous mangez régulièrement des œufs, des laitages et du poisson, vous ne rencontrerez aucun problème. Mais si vous supprimez également ces denrées, vous devrez trouver vos protéines dans les végétaux. Cela demande des compétences en diététique que peu de candidats à ce régime possèdent.

Toutes les études montrent une espérance de vie accrue chez les personnes qui mangent modérément. Mangez moins, mais mangez des produits de qualité. Un petit supplément de prix peut constituer une assurance santé. Idem pour l’eau dont vous savez qu’il faut en consommer deux litres par jour et plus si vous transpirez. En certaines périodes l’eau du robinet est fortement chlorée ; est-ce bon pour votre organisme ? Je ne souhaite pas entrer dans d’interminables polémiques sur ce sujet mais votre santé et votre forme méritent bien de se poser quelques questions. À chacun de trouver les meilleures réponses qui dépendent de très nombreux paramètres, l’essentiel de la démarche étant de se poser les bonnes questions sans attacher trop d’importance à l’avis du dernier gourou à la mode.

 

Exercice physique

La plus grave erreur que vous puissiez commettre est l’absence d’exercice physique. Certes, certains événements, certaines situations peuvent contraindre à un arrêt d’activité. Efforcez-vous de raccourcir le plus possible ces périodes car l’exercice physique doit être considéré comme un constituant essentiel de votre hygiène de vie.
Quelle est la bonne dose ? Réponse difficile, car on imagine bien qu’elle fluctue d’un individu à l’autre.

  • Un constat : les très grands sportifs ne sont pas statistiquement ceux qui vieillissent le mieux : usure prématurée du corps, chute brutale de la motivation à l’arrêt de la compétition, etc.
  • Une constante : le plaisir doit toujours présider.

Cependant, même pratiqué dans la joie et la bonne humeur, le sport suscite parfois quelques désagréments : une étude récente montrait que les sportifs, comparés aux inactifs, souffraient plus tôt de l’arthrose. Je ne suis pas totalement convaincu par cette étude — le choix des sportifs est déterminant — qui mériterait d’être approfondie car un entraînement bien conduit a plutôt des effets bénéfiques. Néanmoins, les pathologies sportives n’en sont pas moins une réalité dont il faut tenir compte, mais, si les caisses d’assurance maladie et de retraite encouragent les seniors à l’activité physique, c’est que le bilan est globalement positif.

Les milieux sportifs ont longtemps entretenu l’idée que la force et la souplesse étaient contradictoires. C’est faux, l’expérience le prouve. Cependant, on constate aujourd’hui une certaine tendance chez les hommes à privilégier la force au détriment de la souplesse. Sans doute l’une est-elle mentalement associée à la domination — masculine —, l’autre à la faiblesse — féminine —, résidus d’un univers machiste qui ne dit pas son nom. Je ne saurais trop vous conseiller de garder un équilibre entre ces deux facettes de votre préparation physique.

 

Repos

Aucune activité physique n’est profitable sans une bonne récupération. Si vous vous entraînez alors que la fatigue de l’entraînement précédent n’a pas disparu, vous entrez dans un cycle de surentraînement. Rien de grave si c’est occasionnel, mais si vous persistez, c’est dangereux.

Apprenez à vous relaxer. Peu importe la méthode, étirements, yoga, méditation, l’essentiel est d’obtenir un bon relâchement musculaire et un esprit serein. C’est un excellent moyen de se préparer au sommeil.

Sept heures de sommeil est un chiffre souvent cité comme norme. En cas d’activité intensive, dormir plus est logique : la plupart des sportifs de haut niveau dorment neuf heures. Des gens s’écartent sensiblement de ces chiffres ; certains en souffrent, d’autres affirment que cela leur convient bien, mais, à longue échéance, des troubles divers sont fréquents. En effet, de nombreux phénomènes physiologiques se déroulent durant le sommeil. Ils sont essentiels et certains sont même totalement indispensables à la survie.

  • Un temps de sommeil raccourci risque de compromettre leur bon déroulement. Attention ! les conséquences sont rarement immédiates.
  • Dormir trop est souvent signe d’une mauvaise qualité de sommeil ; il faut découvrir la cause de ce dysfonctionnement.

Il existe aujourd’hui des cabinets spécialisés dans les troubles du sommeil ; n’hésitez pas à consulter.

 

Les accidents du sportif

Les pouvoirs publics et les organismes sociaux encouragent la pratique sportive à tous les âges car les pathologies sportives sont moins coûteuses et moins invalidantes que les pathologies des inactifs.
Cependant ce bilan général fait ressortir deux colonnes assez chargées, certes avec un avantage incontestable à la colonne « sportifs ». Ce bilan peut encore s’améliorer en faveur des sportifs à condition que chacun gère son activité intelligemment. Comment rendre votre activité sportive pleinement profitable ? Les conseils qui vont suivre sont le fruit de mes recherches documentaires et de mon expérience. Ils n’ont pas la prétention de devenir une « bible » et seront mis à jour si nécessaire.

Pensez qu’un accident laisse toujours des séquelles. Évidemment, les blessures seront soignées, mais la prévention est la meilleure garantie d’un vieillissement sans souffrance.

En dehors des coups et de leurs conséquences (ecchymoses, fractures, etc.), les principales souffrances du sportif peuvent se classer en trois catégories :

  • Douleurs articulaires ;
  • Douleurs musculaires et tendineuses ;
  • Atteintes du rachis.

 

Douleurs articulaires

Des causes très variées peuvent engendrer une souffrance articulaire. Entorses et luxations sont, en général, considérées comme des accidents imprévisibles. Pourtant, un peu de bon sens peut limiter leur fréquence :

  • Fermez les poings quand vous combattez, vos doigts vous en seront reconnaissants ;
  • Améliorez vos gestes techniques, pour respecter les limites physiologiques de votre corps et éviter les heurts malencontreux ;
  • Musclez correctement vos épaules car cette articulation ne doit sa solidité qu’à votre tonus musculaire ;
  • Surveillez vos méthodes de rotation pour préserver vos genoux. Celles-ci doivent s’effectuer sur le talon quand l’autre pied vient stabiliser la position en fin de rotation (pivots de retour en arrière dans les kata). Dans les autres rotations où l’équilibre résulte d’une bonne perception du contact au sol, c’est l’avant-pied qui sert de support (rotation du pied d’appui en mawashi-geri). De toute façon, il faut choisir, talon ou avant du pied, sinon le pied colle au sol et c’est le genou qui supporte la torsion : aïe !

Tous les vétérans connaissent l’arthrose : c’est une détérioration des cartilages articulaires. Si l’on en souffre à un âge plus ou moins avancé, le mal s’installe inexorablement dès le début de l’âge adulte. Il est normal qu’un frottement finisse par user les surfaces en contact, mais vous pouvez limiter cette usure à son strict minimum avec quelques précautions :

  • D’abord, échauffez-vous correctement et longuement. L’échauffement permet d’augmenter de 10 à 20% le volume des cartilages articulaires et d’améliorer la lubrification grâce à un apport de liquide. Si vous vous entraînez seul ou si vous prenez le cours en retard, échauffez-vous soigneusement avant de commencer et ne forcez pas tant que vous ne vous sentez pas parfaitement préparé.
  • Ce liquide articulaire est composé surtout d’eau qu’il faut bien prendre quelque part : n’arrivez pas au cours en état de déshydratation. Une soif impérieuse dix minutes après le début de l’entraînement en est un signe manifeste.
  • Le tabac favorise la déshydratation ; fuyez-le. Le stress également ; restez zen.
  • Ensuite, évitez les chocs répétés : sauts de très haut, frappe du poing sur un sac très dur, articulation qui arrive brutalement en butée, etc.
  • Surveillez votre poids. Une surcharge pondérale accélère l’usure des cartilages, en particulier ceux du genou.
  • Les cartilages ont, chez les jeunes, une possibilité de restauration spontanée. Elle est toutefois très inférieure à celle du tissu osseux. À l’âge adulte cette caractéristique disparaît progressivement et les lésions deviennent irréversibles. À quel âge n’y a-t-il plus de réparation possible ? Mystère !

D’autres pathologies sportives peuvent affecter les articulations. Elles concernent les ligaments, les bourses séreuses, la capsule, les ménisques, un épanchement de synovie et parfois la présence d’un corps étranger : morceau d’os, calcification, etc.
En prévention, évitez de prendre des coups sur les articulations, en particulier les genoux, les épaules et la colonne vertébrale. Le contrôle pratiqué en karaté assure déjà une bonne protection. Soyez quand même vigilant car des contusions peuvent paraître anodines, mais expliquent parfois des pathologies sans cause apparente, les symptômes pouvant se manifester très longtemps après le choc. Les longues périodes d’inactivité sont également préjudiciables.

En vieillissant, il vaudra mieux éviter les sports qui exigent des changements d’appui brusques, fréquents et aléatoires si vous souhaitez préserver vos genoux ; ménisques et ligaments n’apprécieront guère. Dès les premiers signes de faiblesse de vos genoux, abordez le kumite de karaté souplement, en évitant les accélérations intempestives. Au lieu d’aller chercher l’adversaire, laissez le donc venir à vous. Ces conseils valent également pour ceux qui ressentent une fragilité lombaire.

Quoi qu’il en soit, en cas de douleur articulaire persistante, n’insistez pas et reposez l’articulation concernée. Si vous consultez un médecin, choisissez un sportif capable d’évaluer les avantages comparatifs d’un maintien ou d’une suspension de l’activité. En cas d’immobilisation d’une articulation, ne privez pas le reste de votre corps de son activité habituelle. Éventuellement, changez de sport en attendant la guérison : un poignet foulé n’empêche pas de courir.

 

Douleurs musculaires et tendineuses

Un bon échauffement prépare les muscles et les tendons à l’effort : meilleure irrigation, élasticité renforcée et élévation de la température (rendement supérieur vers 38° ou 39°). De nombreux accidents sont dus à un mauvais échauffement. Méfiez-vous également des moments d’inactivité — 1/4 d’heure suffit — pendant lesquels le corps se refroidi.

Les crampes du sportif résultent d’une mauvaise conduite de l’entraînement, d’une déshydratation ou de la consommation d’excitants. Lorsque vous en êtes victime, étirez délicatement le muscle concerné. Si vous en souffrez souvent, il est indispensable d’en déceler l’origine afin d’y remédier. Vous pouvez trouver seul si la cause se trouve parmi celles citées plus haut ; en cas d’échec, consultez votre médecin. Lors des entraînements par grosse chaleur, la transpiration se faisant très intense, augmentez à due proportion votre consommation d’eau et compensez la perte en sels minéraux avec un produit adapté (disponible dans les magasins de sport).

Les blessures musculaires (claquages, élongations, etc.) se soignent assez bien avec un peu de repos, mais la guérison des affections tendineuses est parfois problématique. Certaines tendinites, malgré un repos prolongé, ne concèdent qu’une légère rémission ; dès la reprise d’activité, la douleur réapparaît. La solution est fréquemment dans une modification des conditions d’exercice. L’exemple le plus connu est, au tennis, l’influence d’un changement de raquette sur l’épicondylite.
Il faut d’abord identifier le geste responsable de la souffrance puis le corriger s’il est défectueux ou l’interdire s’il ne respecte pas le fonctionnement normal d’une articulation. Pour cela, une contention de bonne facture, ou un strapping, peut s’avérer utile. Prenons l’exemple d’une douleur de genou qui survient dans certains mouvements spécifiques. Il y a fort à parier que votre genou s’écarte de son axe de fonctionnement naturel ; le port d’une genouillère avec des baleines latérales de guidage évitera cette instabilité et permettra — peut-être — la guérison sans arrêter le sport.

D’autre part, les tendons doivent glisser facilement dans leur gaine. Là encore, l’eau est le principal constituant du lubrifiant. N’oubliez pas de boire.

Un muscle sollicité se contracte. À l’arrêt de cette sollicitation, il se relâche et reprend sa taille initiale. Mais si vous lui demandez des efforts répétés, il a tendance à rester dans une semi-contraction, à se raccourcir. En quelques mois, il peut perdre une grande partie de son élasticité ; on parle alors de muscle noué. Pour un bon fonctionnement, le muscle doit retrouver au repos sa longueur maximale. À cette fin il est indispensable d’étirer les muscles qui ont fourni des efforts soutenus. Quand vous êtes fatigué, à la fin d’un entraînement, étirez-vous modérément pour ne pas provoquer de claquage. Ainsi, après une séance de mae-geri, des étirements mesurés des quadriceps et ischio-jambiers sous une douche bien chaude constituent une solution idéale. Au début de l’entraînement, les étirements dynamiques pas trop violents préparent les muscles à l’effort. Bien chaud mais pas encore fatigué, ils peuvent devenir plus intenses et à froid, avec quelques précautions, ils améliorent votre souplesse. En fait, vos muscles travaillent toute la journée ; alors pensez à vous étirer souvent. Dès le matin au réveil, imitez les chats, vous en percevrez rapidement les bienfaits.

Enfin, rappelez-vous ce principe : des liaisons subtiles relient toutes les parties de votre corps. Ainsi, des caries dentaires peuvent entretenir sournoisement une tendinite. Soignez votre hygiène et votre santé.

 

Atteintes du rachis

La colonne vertébrale, ou rachis, est constituée de vertèbres séparées par des disques intervertébraux qui jouent le rôle de coussins amortisseurs et liées par des ligaments et des muscles vertébraux. Comme sur une automobile, les amortisseurs peuvent être « fatigués ». Malheureusement, aucun garagiste ne vous changera ces disques-là. Alors, mieux vaut prendre soin de votre colonne vertébrale, d’autant qu’elle abrite la moelle épinière et de nombreuses émergences nerveuses qui n’apprécieront pas d’être chatouillées par une protubérance discale ou osseuse. Les problèmes rencontrés se nomment lumbago, sciatique, dorsalgie, cervicalgie, névralgie cervico-bracchiale, etc.

Le mal de dos n’est pas réservé aux sportifs ; une grande partie de la population en souffre. Les mauvaises attitudes, les positions avachies et les efforts dans des positions inadaptées en portent la responsabilité. Bien souvent le sport n’est que le révélateur d’un mal déjà installé. Surveillez votre façon de vous asseoir devant votre bureau, utilisez un oreiller adapté à votre position dans le sommeil et méfiez-vous des fauteuils sans soutien lombaire. La station assise accentue les contraintes sur les disques d’environ 30 % ; à éviter, surtout si vous souffrez du dos. La marche, même en terrain escarpé, est bénéfique : oubliez la voiture au garage et pour un déplacement de quelques centaines de mètres, marchez, même avec un dos fragile. Si vous travaillez assis, ne restez pas plus d’une heure sans aller vous dégourdir les jambes. Le clavier d’ordinateur et la souris sont responsables, quant à eux, de dorsalgies et de cervicalgies. Faites fréquemment d’amples mouvements de bras. Pour travailler debout, mieux vaut poser un pied sur un petit tabouret. Changez de jambe tous les quarts d’heure.

Tout le monde sait que, pour soulever une charge lourde, il faut plier les jambes et garder le dos droit, mais, en dehors des haltérophiles, peu de gens ont conscience de l’importance du placement du bassin. Celui-ci peut, entre autres mouvements, basculer vers l’avant ou l’arrière avec pour conséquence une accentuation ou une réduction de la courbure lombaire (lordose). Un exercice est parfait pour vous apprendre à placer votre bassin : le kata Sanshin. Dans les efforts, c’est la position intermédiaire, ni antéversion, ni rétroversion, qui assure la meilleure répartition des contraintes sur les disques. Vous devez sentir instinctivement la position de votre bassin.

La courbure de la colonne vertébrale induit une certaine élasticité — bienvenue du fait de notre bipédie — mais aussi quelques points de faiblesse liés aux changements d’orientation des courbures. Une charge de 50 kg sur les épaules produit sur le disque L5-S1 une pression de 350 à 650 kg suivant la position. Jeune, on se laisse parfois aller à prouver sa force. Cela se passe généralement sans préparation ni précaution. Évidemment, un jour, on passe à la caisse ; et il faut payer cash !

Deux types d’accidents affectent fréquemment le rachis :

  • La rupture de l’anneau fibreux du disque intervertébral sous une pression excessive provoque l’irruption du noyau pulpeux à l’extérieur. C’est la hernie discale. Si elle touche un nerf, la douleur apparaît.
  • L’élongation exagérée des ligaments et muscles vertébraux. C’est l’équivalent d’une entorse.

Les atteintes du rachis guérissent spontanément 9 fois sur 10 — sauf l'arthrose, évidemment, qui n'épargne pas la colonne vertébrale —; la patience est le meilleur médicament. Cependant, il reste toujours une certaine fragilité de l’élément blessé. Il vaut donc mieux éviter ces lésions car les récidives sont fréquentes. La prudence est de mise, même pour les jeunes.

 

Préservez votre dos

Voici un programme d’entraînement destiné à vous éviter de souffrir du dos. Il est à considérer avec circonspection, car, étant tous différents, il convient d’adapter ces consignes à chacun.

L’entraînement débute avec une mobilisation de l’ensemble du corps. Les mouvements qui concernent le rachis doivent s’exécuter lentement et sans à-coup. Ceux qui ont déjà souffert des cervicales limiteront les mouvements d’extension du cou.

Exécuté lentement, un mouvement erroné ne porte pas à conséquence. Lorsque vous atteignez une certaine vitesse, la moindre erreur peut vous être fatale. C’est la raison pour laquelle, quel que soit votre grade, vous devez en permanence revenir sur la technique de base et l’améliorer.

Durant le cours, deux techniques peuvent vous blesser :

  • Gyaku zuki. La rotation du corps qui accompagne cette technique doit être uniforme : épaules et bassin pivotent en même temps et la lordose lombaire doit être maintenue. Certains utilisent essentiellement le bassin, d’autres tournent trop les épaules, quelques-uns se cambrent dangereusement en fin de gyaku : risque de pincement ou cisaillement des disques.
  • Mae geri. Les hanches avancent brusquement lors de l’impact et reculent vivement au retour de la jambe : risque d’une ondulation nocive de la colonne vertébrale. Les courbures naturelles du rachis doivent être maintenues durant tout le mouvement grâce à un parfait gainage abdominal.

Entretenez une bonne sangle abdominale et un bon tonus des muscles spinaux (ensemble des muscles qui relient les vertèbres). Si vous suivez régulièrement deux entraînements par semaine, les muscles concernés sont correctement préparés. Si vous vous entraînez moins, introduisez quelques exercices de musculation dans votre hygiène de vie.

Le jogging est une excellente — et presque irremplaçable — préparation de fond. Ménagez votre dos en utilisant des chaussures adaptées. L’amorti de ces chaussures se dégrade au bout d’un an d’après les fabricants. Peut-être cherchent-ils à nous faire consommer, mais dès que vous sentez une modification dans l’absorption des chocs, changez de chaussures. Toute douleur lombaire, a fortiori si elle irradie dans la jambe, interdit la course à pied. Dans ce cas, marchez.

La souplesse est un bon antidote au mal de dos. Une épaule un peu raide provoque une cambrure exagérée de la colonne lombaire lorsque vous levez les bras à la verticale. Jambes tendues, toucher vos pieds avec les mains la sollicite en flexion si vos ischio-jambiers sont raccourcis. Ces mouvements, s’ils sont trop rapides, risquent de léser les éléments souples qui unissent vos vertèbres. Pour ne pas subir ces désagréments, travaillez et entretenez votre souplesse régulièrement et gardez le dos plat lors des exercices. Ceux qui sont affectés d’une raideur excessive seront particulièrement attentifs à cette dernière recommandation.

La station debout, la marche, les différentes sollicitations tassent ou pincent les disques intervertébraux. Le soir, le sujet jeune mesure 1 à 1.5 cm de moins que le matin. La nuit, les disques reprennent leur épaisseur grâce à une réhydratation qui, malheureusement, s’opère de moins en moins bien lorsque vous vieillissez. Un autre facteur limite la réhydratation des disques : la perte d’élasticité des muscles spinaux, noués ou fibrosés. Des étirements s’imposent — impérativement sans à-coup. Suspendez-vous à une barre fixe ; mieux, faites le « cochon pendu » pour éviter la contraction réflexe des muscles spinaux. À ces étirements passifs ajoutez des étirements actifs : pieds à plat au sol, cherchez à atteindre avec les mains un point situé trop haut. Les mouvements de flexion, d’extension et de bascule latérale du rachis doivent viser l’allongement de la convexité et non le tassement de la concavité. Concrètement, quand vous basculez sur le côté gauche, cherchez à atteindre de la main droite un point éloigné situé à 45° en haut et à gauche. Si vous vous contentez de basculer, vous pincez les disques à gauche sans garantie d’un étirement suffisant à droite.

La musculation des abdominaux doit respecter quelques consignes. Le principal muscle de cette région est le grand droit — celui qui vous confère ces « carrés de chocolat » caractéristiques. Sa particularité est de se fortifier indépendamment en haut et en bas, ce qui implique deux types d’exercices pour obtenir un résultat complet. Le bas se travaille traditionnellement couché sur le dos en mobilisant les jambes : doubles cercles, ciseaux, pédalage, etc. Précaution : la région lombaire doit toujours toucher le sol ; en conséquence, ne descendez pas vos jambes trop près du sol. Même si certains prétextent un travail plus intensif de cette manière, vous mettez en danger les disques entre la première vertèbre sacrée et la troisième vertèbre lombaire.

L’exercice le plus courant pour muscler le haut du grand droit est le suivant : couché sur le dos, jambes légèrement fléchies, pieds à plat au sol, mains croisées sur la nuque, relever le buste sans décoller les pieds du sol pour toucher les genoux avec les coudes. Cet exercice est décrié par certains spécialistes qui incriminent le travail concomitant du droit antérieur — un des constituants du quadriceps — et du psoas-illiaque, deux muscles qui assurent la flexion de la cuisse sur le buste mais qui accentuent la lordose lombaire. Si on observe un athlète réaliser cet exercice, rien dans le déroulement du mouvement ne semble préjudiciable, la zone lombaire étant parfaitement gainée. La même observation portant sur un individu lambda qui suit le même entraînement révèle un tableau différent : quand la fatigue intervient, à chaque retour des épaules au sol, la cambrure lombaire est fortement accentuée afin de favoriser un effet rebond et quand les coudes touchent les genoux elle s’inverse. Cette ondulation de la colonne lombaire ne dit rien qui vaille. De plus l’action des muscles psoas-illiaque et droit antérieur intervient au moment où la lordose est la plus prononcée. Le risque de pincement du disque avec apparition d’une hernie est maximal.

En conclusion, si l’exercice est exécuté avec un bon gainage de la sangle abdominale, je n’y vois pas d’objection. Mais les débutants, les sportifs fatigués ou ceux qui souffrent — ou ont souffert — du dos pratiqueront cet exercice sous une autre forme. Vous constaterez un effet similaire sur le grand droit en gardant le dos au sol et en soulevant uniquement les épaules ; de cette manière, les muscles psoas-illiaque et droit antérieur ne sont pas sollicités. La meilleure position est la suivante : couché sur le dos, les talons sur une chaise de manière à former un angle droit entre la cuisse et la jambe, un autre angle droit entre la cuisse et le tronc, les mains sur la nuque ; comme précédemment, les coudes viennent toucher les genoux ou s’en approchent mais seuls les épaules et le haut du dos décollent du sol.

Les exercices de musculation des abdominaux ne manquent pas ; aucun n’est vraiment interdit, mais il faut toujours pratiquer avec prudence et modifier son travail si le gainage lombaire se détériore. Dans ces exercices, une douleur dans les « reins » n’est jamais normale. Et n’oubliez pas de renforcer conjointement la partie postérieure du corps : ischio-jambiers, fessiers et dorsaux.

Pour limiter leur effet lordosant vous étirerez souvent le psoas-illiaque et le droit antérieur. Le premier s’étire en prenant la position zenkutsu-dachi. Bien sûr, une longue position améliore l’étirement, mais surveillez le placement du bassin et la lordose lombaire qui ne doit pas être accentuée. Le second s’étire de multiples manières ; la plus simple consiste à maintenir le talon collé à la fesse et à avancer le bassin.

L’étirement fréquent des ischio-jambiers (loge postérieure de la cuisse) est également indispensable pour préserver l’intégrité de la colonne lombaire. Debout, jambes tendues et corps droit, posez un talon sur une chaise, avancez la hanche opposée, comme dans un gyaku-zuki, et penchez-vous légèrement en avant.

Mobilisez et étirez tous les jours vos épaules en tous sens. Attention ! si la vie quotidienne est suffisante à l’entretien des doigts, des mains et des avants-bras, elle est incapable de maintenir une épaule réellement fonctionnelle — sportivement s’entend.

Bien sûr, tous les muscles doivent être étirés, mais ceux que je viens de citer seront particulièrement soignés.

Ceux qui ressentent une fragilité du rachis exécuteront ces exercices avec prudence après avoir étudié et bien compris ce qui est indiqué et contre-indiqué. Si vous souffrez du dos, reposez-vous, puis étirez délicatement et régulièrement les muscles susceptibles d’entretenir un pincement de disque. Reprenez l’entraînement avec modération en surveillant de près vos attitudes. Et fortifiez les muscles spinaux : debout, enroulez vers l’avant vos vertèbres une à une en commençant par les cervicales. Puis remontez lentement en déroulant d’abord les lombaires. Vous pouvez intensifier l’exercice en ajoutant un poids — raisonnable — sur les épaules, voire sur la tête si vous souhaitez renforcer la tenue des cervicales.

 

N’attendez pas la chance

À supposer qu’un jour vous arrêtiez la pratique sportive, — ce serait regrettable — conservez pour le moins la marche dynamique et les étirements : c’est le minimum au-dessous duquel le corps se dégrade inexorablement. N’acceptez pas un arrêt total d’activité ; ainsi, le moment venu, vous pourrez reprendre sans souffrance insupportable.

Certes, la vie inflige des instants difficiles qui éteignent définitivement le dynamisme d’une grande partie de la population, ainsi promise à une morne vieillesse. De jeunes adultes sont déjà atteints par ce mal insidieux. Refusez cet écueil ; restez actif et entreprenant. Les événements, heureux ou tragiques, sont des questions auxquelles il est toujours possible de répondre. La plupart des gens ne trouvent pas de réponse, car ils ne cherchent même pas à répondre. Dans ces moments pénibles, c’est votre motivation qui va transformer ce que d’aucuns considèrent comme le destin en une simple question. Quand la question est claire, la réponse est évidente. Ce n’est pas une élucubration d’intellectuel, c’est une réalité déjà largement expérimentée. Lorsque votre bonheur est en jeu, n’attendez pas un hypothétique miracle.

Cependant, avec les années qui passent, vous devenez plus fragiles. La jeunesse se permet des fantaisies parfois dangereuses, le plus souvent par méconnaissance. En vieillissant vous devez devenir plus attentif, plus prudent. Ne supprimez pas les fantaisies, abordez-les avec des connaissances qui les rendent moins dangereuses.

Le respect de tous ces conseils ne vous garantira pas une immunité totale ; le corps humain est une mécanique complexe que personne n’a encore comprise dans sa globalité. Ces quelques précautions peuvent néanmoins vous éviter des souffrances superflues. Motivé et dynamique, mais prudent ! Telle est la recette des vétérans épanouis.

Il est vrai que certains rares sportifs se sont permis des excentricités sans en souffrir ultérieurement. La chance leur a souri. Denise Escande, alpiniste réputée, qui, à plus de 70 ans, venait dans une voie de montagne très difficile rééduquer une cheville cassée, m’a déclaré alors que je lui offrais à boire : « Merci jeune homme ! mais je ne bois jamais en montagne ; je suis comme un chameau ! » Je me suis bien gardé de lui dire que c’était une erreur, respect oblige — j’avais 35 ans —, mais je l’ai observée comme une miraculée, sachant parfaitement à quoi s’expose celui qui ne boit pas suffisamment, surtout en montagne.

Mais pour vous, individu raisonnable, est-il bien sérieux de compter sur la chance pour vieillir dans de bonnes conditions ? La réponse est dans ce proverbe japonais : « Attendre la chance, c’est attendre la mort. »

Sakura sensei


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