LA LETTRE DU GOSHIN BUDOKAI N°35 Janvier 2016
préparation physique
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Les activités physiques et sportives,
balbutiantes au début du vingtième siècle, ont acquis en un peu plus
d’un siècle un statut de quasi nécessité, les bienfaits et le plaisir
qu’elles procurent étant aujourd’hui largement reconnus. Encore
faudrait-il, pour mériter totalement cet engouement, qu’elles échappent
à certaines erreurs dont les conséquences sont parfois fâcheuses.
Certes on se blesse parfois accidentellement, toute activité comporte
des risques, mais ici nous évoquons surtout les déséquilibres engendrés
par des entraînements sportifs inadaptés qui provoquent à court terme
de multiples affections de l’appareil locomoteur et à plus long terme
des souffrances dont l’origine, trop ancienne, est rarement identifiée.
Désagréments fréquents, mais qui ne constituent peut-être pas la
conséquence la plus regrettable. En effet, une activité sportive mal
conduite ne permet pas une bonne acquisition des qualités physiques
fondamentales et des techniques spécifiques. S’ensuit un taux
d’abandons précoces bien trop élevé ; personne n’aime se prélasser
dans la médiocrité.
S’en remettre à un professionnel chevronné semble donc être l’évidente
solution. Pourtant, même les entraîneurs sérieux commettent des bévues
et l’affiliation à un club, même réputé, ne met pas à l’abri des
blessures ni du désenchantement. En cause — outre, en karaté,
l’entretien d’une ambiguïté trompeuse sur ses multiples facettes et
finalités qui perturbe, déçoit et décourage de nombreux
néophytes —, la diversité des profils physiques et psychologiques
des sportifs qu’il est difficile d’appréhender et d’intégrer dans un
cours collectif. En effet, chaque personne est une énigme pour
elle-même et, a fortiori, pour autrui. L’injonction socratique
« Connais-toi toi-même », souligne bien l’importance et la
difficulté de la connaissance intime, tant de l’esprit que de son
enveloppe charnelle, les deux ayant d’étroites interconnections.
Comment, l’entraîneur qui, neuf fois sur dix, ne se connaît pas très
bien lui-même, pourrait-il discerner, au-delà des apparences, les
attentes, les motivations, la volonté, les atouts, ou à l’opposé, les
contraintes, les maux, les faiblesses, bref tout ce qui anime ou freine
un sportif, et construire, le cas échéant, un cours collectif adapté à
chacun ? Au mieux peut-il proposer un programme correspondant à ce
qu’il estime être le profil type de ses sportifs avec, s’il est très
expérimenté, quelques recommandations personnalisées.
C’est dire si celui qui ne veut pas
dilapider son énergie en efforts stériles, ou pire dangereux, doit
connaître, comprendre et assimiler les fondements de la performance
athlétique afin de transpirer utilement sans se blesser. Et, c’est
primordial, se connaître parfaitement lui-même pour faire converger
harmonieusement les exigences de la discipline sportive et le
développement de ses propres qualités physiques et mentales. Une vie
sportive se déroule rarement sans quelques anicroches, mais il faut
tout faire pour en limiter le nombre et l’ampleur. C’est une condition
sine qua non pour préserver le plaisir et alimenter la motivation,
indispensables ingrédients d’une pratique pérenne, seule façon de
donner du sens au budo dont les fondements philosophiques,
éthiques, psychologiques, stratégiques, techniques et leurs subtiles
imbrications ne s’assimilent réellement qu’à très long terme. Les
consignes de l’entraîneur ne sont certes pas à rejeter, mais chaque
pratiquant a le devoir d’en saisir les implications afin de les adapter
finement à ses particularités s’il veut progresser sans souci majeur.
Un minimum de connaissances physiologiques et une juste perception de
soi, corps et esprit, sont donc souhaitables. Cela devient même
totalement indispensable lorsqu’un travail personnel vient compléter
les cours collectifs ou dans le cadre d’une pratique indépendante.
Tous performants
L’espèce humaine est d’une extrême
diversité. Entre la singularité de chaque ADN et l’infinie variété des
histoires personnelles, chacun peut se considérer comme unique. Ce qui
amène certains à affirmer : « Je n’y peux rien, je suis comme
ça ! » C’est l’antienne ressassée par ceux qui considèrent
leur état comme une fatalité biologique ou qui refusent l’effort
physique ou psychique nécessaire au changement. Or chacun peut, dans
une certaine mesure et à condition d’opérer correctement, acquérir des
capacités, tant spirituelles que corporelles, qui contredisent une
prétendue hérédité ou qui s’opposent à un état perçu comme
irrémédiable ; de multiples exemples en témoignent. Dans ce but,
il faut avoir quelques lumières sur les objectifs raisonnablement
envisageables et les moyens d’y parvenir, bien se connaître pour
déterminer ceux qui conviennent et accepter de fournir les efforts
nécessaires.
Viser un minimum de performance sportive
impose de développer de multiples capacités physiques et mentales.
Certaines activités d’une grande richesse, tels les vrais arts
martiaux, semblent les exiger toutes. Pourtant, si l’on exclut les
aspects spirituels inhérents au budo, seules quatre capacités
physiques s’avèrent fondamentales : souplesse, puissance, adresse
et endurance. Toutes les autres en découlent ou les recoupent. Un bon
planning d’entraînement doit donc harmoniser le travail de ces quatre
piliers de la performance sportive en tenant compte des spécificités de
la discipline et des innombrables particularités individuelles.
Vous manquez de force ? La
musculation devrait pallier cette lacune. Vous rêvez d’être
souple ? Un bon programme d’étirement amènera forcément un
surcroît d’aisance gestuelle. Vous êtes vite essoufflé ? Un
jogging régulier développera votre endurance. Vous êtes
maladroit ? La répétition régulière d’un geste sportif améliorera
votre taux de réussite. Cependant, la simplicité de ces conseils de
préparation physique cache de nombreuses chausse-trapes dans lesquelles
il est facile de tomber. Un peu de jugeote devrait pourtant éviter les
erreurs les plus grossières — qui ne sont pas toujours les moins
fréquentes.
Descartes ouvre avec une certaine ironie
son Discours de la Méthode par ces mots : « Le bon sens est
la chose du monde la mieux partagée ». Ironie car en 1637, tout
comme aujourd’hui, le bon sens n’habitait évidemment pas tous les
esprits même si, comme il le souligne, personne ne se plaint d’en
manquer.
Redonner un peu de bon sens, tel est l’objectif de ces quelques
réflexions sur la préparation physique des sportifs et, plus
particulièrement, des budoka.
Capacités physiques
Puissance, souplesse, endurance et
adresse représentent donc les qualités physiques nécessaires et
suffisantes à une construction athlétique aboutie. Quelques
explications s’imposent pour que le bon sens puisse s’appuyer sur des
prémices solides.
- La puissance instantanée (P) est le
produit d’une force (F) par une vitesse (v) : P = F.v.
Sans force, pas de puissance ; sans vitesse non plus. Les deux
doivent donc être cultivées, mais le karateka est plus attentif
à l’efficacité de ses atemi, déterminée par l’énergie
cinétique (E) transmise à la cible lors du choc, égale à la moitié de
la masse (m) en mouvement multipliée par le carré de sa vitesse
(v) : E = 1/2m.v2.
Cette formule met en évidence la prépondérance de la vitesse sur la
masse ; il s’ensuit qu’un petit gabarit peut être très efficace
s’il cultive sa vitesse d’exécution. Ces explications permettent
surtout de bien saisir l’ensemble des paramètres de l’efficacité du karateka
et leur imbrication : force, vitesse et masse. Toutefois, la masse
en question est celle qui est réellement mobilisée pour percuter
l’adversaire. Dans un tsuki réalisé par un expert, grâce au kime,
ce n’est pas le bras seul qui frappe mais tout le corps centré sur le
dynamisme du hara. Un débutant met beaucoup de temps pour
comprendre et assimiler tous les paramètres de cette efficacité. Cette
maîtrise est donc plutôt à considérer comme une habileté. Force et
vitesse restent bien les deux seuls pôles qui caractérisent la
puissance.
La force musculaire (la capacité à vaincre une résistance) conférée par
la vie quotidienne est insuffisante pour rendre performant un sportif.
Même un simple amateur ne peut se dispenser de la cultiver. Sans force,
les accélérations sont sans vigueur et la vitesse atteinte dans un
geste sportif toujours insuffisante. La musculation est un
incontournable exercice.
Pour un sportif, la vitesse n’est pas une notion univoque : un 100
mètres ou un marathon ne demandent pas les mêmes dispositions
physiques. De plus, dans une majorité de sports, ce sont les variations
de vitesse qui sont importantes, or ce sont ces phases de l’effort
sportif qui exigent le plus de puissance ; c’est-à-dire le
meilleur compromis entre la force et la vitesse.
Force, vitesse, puissance ou explosivité : il va falloir
privilégier certaines de ces options car leur compatibilité est
limitée. Mais dans tous les cas, force et vitesse constituent la base
indispensable ; ce sont leurs caractéristiques respectives et leur
dosage qui vont orienter le développement des capacités physiques.
- La souplesse est la capacité à
solliciter ses articulations dans de grandes amplitudes. Parvenir au
grand écart facial ou antéro-postérieur ; debout, jambes jointes
et tendues, poser aisément la paume des mains à plat au sol ;
joindre sans effort les doigts de chaque main, un bras dans le dos,
l’autre derrière la tête ; réaliser un pont (reins cassés) depuis
la station debout ; voilà des exemples qui signent une excellente
souplesse. Cela étant, ces performances banalisées par de jeunes
gymnastes ne sont pas accessibles à tout le monde, même animé d’une
volonté d’airain, car les particularités morphologiques d’un individu
lui interdisent de dépasser les limites imposées par sa propre
mécanique articulaire. Cependant, hormis pour les articulations
hyperlaxes qui doivent plutôt être tonifiées et dans la mesure où le
système musculo-articulaire est respecté, une amélioration sensible de
l’amplitude gestuelle est presque toujours possible et souhaitable,
même en dehors des nécessités sportives.
- L’endurance permet de fournir de la
puissance longtemps. Évidemment, plus la puissance développée est
importante, moins l’exercice peut se prolonger. Quand la puissance
atteint un niveau élevé, on parle de résistance. Le jogging à une
allure modérée constitue la base schématique de l’entraînement
d’endurance. On peut le remplacer par des activités plus proches du
sport concerné. Un ju-gumite (combat souple) d’une demi-heure à
une heure, sans accélérations trop marquées ni interruptions, est un
excellent substitut. Une bonne endurance est un gage de santé et une
excellente base pour le travail de résistance, plus contraignant, qui
peut s’aborder avec le fractionné, ou interval-training. Bien sûr, on
peut sprinter, mais cinq à dix kata, voire plus, à pleine
puissance entrecoupés de récupérations actives de trente secondes, ou
des séries de kihon de même durée, seront tout aussi efficaces.
D’autre part, le travail d’endurance et de résistance stimule les
systèmes cardio-vasculaire et respiratoire. Difficile d’en faire
abstraction, mais un cours de karaté en est plutôt bien pourvu.
- L’adresse, ou habileté, requiert une
bonne coordination articulo-musculaire, de la souplesse, de la vitesse,
de la force et de l’endurance. Elle est évidemment liée à des
dispositions de l’esprit indispensables pour qu’elle puisse se
manifester : qualités d’observation, d’analyse, de prise de
décision et absence de freins psychologiques pour l’essentiel.
Des exercices sont susceptibles de la développer, mais une pratique
sportive suffisamment riche et les éducatifs qui lui sont associés
fournissent les ingrédients nécessaires. -
Ces quatre capacités fondamentales sont
bien étayées par la pratique classique d’un authentique budo.
Cependant, endurance et habileté occupent la plus grande partie d’un
entraînement classique, la préparation physique à base de musculation
et d’étirements étant le plus souvent limitée à une partie de
l’échauffement et de la phase de retour au calme. Or, la qualité du
travail durant l’entraînement est étroitement dépendante de la
puissance et de la souplesse. En effet, un manque de souplesse prive de
l’aisance indispensable à l’ensemble de la gestuelle, augmente le
niveau d’effort pour réaliser certains exercices, l’endurance se
transformant vite en résistance, et, avec un handicap plus marqué, peut
rendre impossibles des techniques requérant de grandes amplitudes.
Quant au manque de puissance, il exclut toute velléité d’efficacité,
tant pour s’opposer (force) que pour surprendre (vitesse) ou mettre
hors de combat (énergie) et compromet la précision, car les gestes
sont mal guidés. Puissance et souplesse conditionnent donc le potentiel
de progrès technique ; les autres qualités physiques dépendent de ces
deux piliers de la performance et sont largement travaillées durant les
entraînements en club. Sachant cela, et sans négliger la technique, le budoka
motivé devra
s’efforcer de combler ses éventuelles carences par un travail personnel
essentiellement axé sur la puissance et la souplesse. Mais comment
procéder pour les développer
efficacement sans créer de nuisance ?
Il ne suffit pas d’exécuter des séries
de pompes, d’abdominaux et de flexions-extensions de jambes (squats),
agrémentées de quelques postures de yoga pour se forger un corps
d’athlète, surtout si on veut rester performant longtemps. De fait, de
nombreux écueils attendent le public mal informé. Comme nous l’avons
souligné au début de cet article, chaque individu est différent de son
voisin : son hérédité, sa morphologie, son sexe, son âge, ses
activités, son histoire personnelle, sa psychologie et ses motivations
en font un être unique. Il est impossible dans ces conditions de se
satisfaire d’une des nombreuses méthodes à vocation universelle
proposées par les théoriciens du sport. L’acquisition de la souplesse
et de la puissance doivent être adaptées aux particularités de chacun.
À moins d’être une star du sport et de bénéficier d’un staff médical et
technique qui vous concoctera un programme d’entraînement personnalisé,
vous devez comprendre comment fonctionne le système ostéo-musculaire,
puis en tenant compte de tout ce qui vous est particulier, élaborer
votre propre programme. Cette démarche personnelle est indispensable,
sinon vous serez la proie de la simplification outrancière, des modes
— vérité d’hier, mensonge d’aujourd’hui — ou de
l’incompétence malheureusement toujours trop fréquente. Tout n’est pas
à rejeter, mais un peu de discernement est salutaire.
Nous allons essayer d’y voir plus clair.
Être à l’écoute de son corps
Pendant longtemps, « ceux qui
savent » ont affirmé la nécessité de choisir entre puissance et
souplesse, ces deux qualités physiques étant déclarées incompatibles.
Résultat de cette pseudo-connaissance : des sportifs aux muscles
hypertrophiés, raides comme des piquets ou, à l’opposé, des gens
hyperlaxes qui s’exposent en permanence à de multiples luxations.
Aujourd’hui encore certains n’en démordent pas en dépit de la
contradiction offerte par de nombreux athlètes qui affichent une
musculature et une souplesse hors du commun. Depuis quelques années, en
effet, certains préparateurs sportifs savent conjuguer harmonieusement
assouplissement et renforcement musculaire.
Si vous êtes attaché à la progression et
à la pérennisation de vos performances ; si vous tenez à vous
éviter les ennuis rencontrés par de nombreux anciens sportifs victimes
des diktats de pathétiques gourous, ne choisissez pas. Ces deux
qualités sportives fondamentales doivent s’entretenir conjointement et
équitablement pour obtenir des résultats sportifs satisfaisants sans
créer de nuisance sur le plan médical. Certes, les petits accidents de
parcours et l’âge amèneront leurs problèmes respectifs, mais les excès
les exacerberont. La vie est un jeu d’équilibre, au niveau individuel
comme à celui des écosystèmes ; les déséquilibres conduisent
toujours à des catastrophes. À chacun de décider si puissance et
souplesse vont se compléter, élever le niveau de performance et
procurer un bien-être durable ou se cannibaliser, dégrader la
prestation technique et fournir leur lot de désagréments.
Si vous souhaitez obtenir ce corps
idéal, à la fois souple et puissant, ne rêvez surtout pas d’un corps de
contorsionniste ou de culturiste ; l’objectif est l’harmonie entre
ces deux pôles de l’idéal athlétique, loin de toute forme d’extrémisme.
Comme il va vous falloir établir un programme personnalisé, il n’est
peut-être pas inutile de rappeler comment fonctionne le système
locomoteur, car il est difficile d’appréhender correctement ses propres
particularités fonctionnelles sans un minimum de connaissances
théoriques.
Deux parties sont à considérer dans le
fonctionnement d’une articulation :
- La partie motrice : le muscle, les tendons et
les bourses séreuses.
- La mécanique de transmission : les os, les
cartilages, les ligaments, la capsule articulaire et la membrane
synoviale.
S’y ajoutent :
- Des propriocepteurs, disséminés dans les muscles et
les articulations, qui permettent de contrôler et de gérer les
mouvements des différentes parties du corps.
- Des nerfs sensitifs et moteurs qui transmettent les
informations.
- Des vaisseaux qui amènent l’oxygène et les nutriments
au cœur des cellules puis évacuent les métabolites.
Tous les composants du système
locomoteur peuvent être blessés accidentellement ou
subir les conséquences d’un mauvais état général. Toutefois, le
préjudice le plus courant qui porte gravement atteinte aux capacités
physiques est l’inactivité, surtout si elle est prolongée. Les gestes
de la vie courante manquent de diversité et d’ampleur pour maintenir le
corps dans un état satisfaisant pour un sportif quel que soit son
niveau de pratique. Une blessure localisée empêche rarement de
mobiliser les membres valides. Le corps, comme l’esprit, doit être
actif pour rester sain et fonctionnel, mais il faut toujours se montrer
attentif à ne pas le léser.
Être à l’écoute de son corps est
impératif afin de comprendre ses besoins et, le cas échéant, de ne pas
aggraver un déséquilibre ou une blessure bénigne. Dans un cours
collectif, chacun doit adapter la forme et l’intensité du travail à sa
constitution corporelle et à son état du moment. Il est inutile
d’arrêter les entraînements à chaque petit « bobo », mais il
faut être conscient des risques encourus à faire comme les autres quand
le corps exprime son désaccord. Retenez un principe : les muscles
peuvent souffrir ; les articulations, jamais. Ainsi, certains
exercices réalisés aisément par les personnes souples et agiles
risquent de blesser gravement ceux qui méconnaissent leur corps ou qui
pallient leur raideur par des attitudes viciées ; par exemple, en
infligeant un travail désaxé au genou à cause d’un mauvais
positionnement du pied ou en compensant une mobilité réduite de
l’épaule ou de la hanche par une flexion exagérée de la colonne
vertébrale. D’autant plus s’ils y ajoutent des à-coups ou s’entêtent à
répéter ces exercices seuls. Toutes les positions, tous les mouvements
doivent respecter l’anatomie. Ces conseils évidents seront peut-être
jugés superflus par certains, mais l’expérience nous l’a montré, ils
sont nécessaires, car de nombreuses blessures ou des déséquilibres
chroniques sont la conséquence d’une insistance obstinée et
inconséquente. Le sport n’est d’ailleurs pas la seule activité en
cause, certaines professions, certaines habitudes sollicitent toujours
le corps de la même façon, engendrant ainsi des déséquilibres qu’il est
essentiel de corriger.
Apprendre comment fonctionne son corps,
tant en théorie qu’en perception intuitive, afin de le rendre plus
efficient, d’éviter les blessures et affections qui découlent d’un état
musculo-articulaire dégradé, devrait être le premier objectif de
l’activité sportive. Trop de pratiquants se brutalisent, ou s’en
remettent totalement à l’entraîneur, ou s’orientent spontanément vers
ce qu’ils aiment et réalisent aisément, accentuant ainsi un
déséquilibre déjà bien établi. Même, si votre seul objectif est la
performance de court terme au mépris de votre santé future, cette
démarche est improductive, voire aberrante dans l’état actuel des
connaissances — mis à part chez les culturistes et
contorsionnistes, il est devenu assez rare d’observer ce déséquilibre
entre puissance et souplesse à haut niveau dans la plupart des sports,
cette défaillance étant presque toujours pénalisante.
Si vous souhaitez développer votre corps
harmonieusement, il est indispensable de le comprendre, car ce dont il
a réellement besoin recouvre rarement ce dont vous avez envie. Celui
qui est très souple, et se complaît dans les étirements, devra surtout
se muscler ; celui qui est très fort, et se ravit de la taille de
ses biceps, devra privilégier l’assouplissement. Toutefois, chez tous
les individus, certains muscles sont généralement trop toniques,
d’autres trop lâches. Un bon clinicien le détecte rapidement. Réduire
ces distorsions s’avère indispensable surtout si elles concernent un
muscle et son antagoniste — celui qui produit le mouvement
inverse. Ainsi, tout le monde a besoin conjointement de renforcement
musculaire et d’étirements, mais toujours de façon ciblée.
Cependant, le comprendre
intellectuellement ne suffit pas pour éviter les erreurs ; c’est
au sein même de votre corps que vous devez ressentir la moindre amorce
de déséquilibre nécessitant d’y remédier. Acquérir cette capacité est à
la portée de tous ; il faut commencer par se convaincre que le
sujet le plus important dans la vie, c’est soi, corps et esprit
confondus. Il ne s’agit en aucune manière d’un comportement
égocentrique, mais de la prise de conscience d’une réalité
incontournable : seul un individu épanoui, en bonne santé physique
et mentale, totalement conscient de sa réalité profonde et de ses
vraies compétences peut se consacrer efficacement à autrui. Pour
apporter son aide comme pour maîtriser des agresseurs violents et
acharnés. Inutile toutefois d’attendre d’être parfait pour faire preuve
d’altruisme, ce qui voudrait dire jamais, mais il faut tendre vers
cette perfection, savoir pénétrer les méandres de son esprit et les
subtilités de son corps pour toujours se connaître très précisément
quel que soit son état du moment. Plus vous avancerez dans cette
démarche, plus il vous sera facile de détecter vos besoins réels, ou
ceux d’autrui, sans vous laisser influencer par de fallacieuses
arguties. De fait, ce ne sont pas vos abdominaux sculpturaux ou votre
élégant grand écart facial qui vous permettront à eux seuls de vous
sortir sereinement d’une attaque violente ni de vivre sans soucis, mais
il faut le ressentir dans le hara, pas seulement dans la tête
trop aisément victime de l’illusion. Ainsi, même si l’objet de cet
article concerne essentiellement la puissance et la souplesse, aucune
des quatre qualités physiques fondamentales ne doit être négligée. Une
grande souplesse ne sert à rien sans l’adresse. Une force de colosse
est inutile sans vitesse ni endurance ou résistance. Évidemment,
l’esprit, sous ses différents aspects, doit être intégré à cette
recherche de perfection.
Recentrons-nous sur la puissance et la
souplesse puisqu’elles représentent le fondement de la performance
sportive, adresse et endurance ayant besoin de ce socle pour s’édifier
solidement. En dépit d’interférences marquées, la puissance est
généralement qualifiée de musculaire et la souplesse d’articulaire.
Étudions-les sous ces vocables sans préjuger de leurs interactions que
nous mettrons en lumière ultérieurement.
Puissance musculaire
Les muscles sont à l’origine de la
puissance développée par un homme ou une femme. Il en existe plusieurs
sortes ; seuls ceux qui sont reliés au squelette et permettent le
mouvement nous intéressent pour notre sujet. Ces muscles sont
excitables, contractiles, extensibles et élastiques. Ils sont
constitués de fibres musculaires parallèles groupées en faisceaux. On
dénombre trois types de fibres musculaires :
- Fibres lentes, rouges car bien irriguées, endurantes
mais peu puissantes.
- Fibres rapides, blanches, puissantes mais peu
endurantes.
- Fibres intermédiaires, roses.
L’hérédité détermine leur répartition,
mais un travail musculaire spécifique peut sensiblement la modifier.
L’élément moteur, situé au cœur des myofibrilles qui composent les
fibres, est constitué de filaments de myosine et d’actine
(myofilaments), entremêlés longitudinalement, qui peuvent glisser les
uns sur les autres, permettant ainsi étirement et contraction.
Lorsqu’un nerf moteur transmet un influx, les myofilaments
s’interpénètrent plus ou moins, le muscle se raccourcit et modifie
l’angle formé par les segments osseux.
Myofibrilles, fibres, faisceaux et l’ensemble du muscle sont entourés
de membranes très élastiques qui se réunissent à l’extrémité du muscle
pour former les tendons, eux-mêmes nettement moins élastiques, fixés
sur les os de part et d’autre de l’articulation. Le muscle peut être
étiré de façon passive ou en sollicitant le muscle antagoniste. Grâce à
l’élasticité des différentes membranes, muscles étiré et contracté
reviendront à leur taille de repos à l’arrêt de l’étirement. Cependant,
un muscle étiré subit automatiquement une contraction dont l’intensité
dépend de la vitesse et de l’ampleur de l’étirement (réflexe
myotatique). Ce réflexe permet de stabiliser une position ou de
protéger le muscle et l’articulation quand le risque de dépasser leurs
limites physiologiques s’accroît ; des avantages certains, mais la
médaille a son revers, nous le verrons bientôt.
Fondamentalement, se muscler n’est pas
compliqué ; il suffit de se servir de ses muscles en leur opposant
une résistance plus ou moins forte et en manœuvrant plus ou moins vite
en fonction de l’objectif visé. De nombreuses méthodes ont été
imaginées et répertoriées. Nous en explorerons certaines, mais,
auparavant, il convient de souligner deux écueils qui guettent le
sportif insouciant :
- Un déséquilibre structurel potentiel
si la musculation se concentre sur les seuls groupes musculaires qui
semblent essentiels dans une activité. Les gestes sportifs, dynamiques
ou statiques, doivent être dirigés ou stabilisés. Une différence de
puissance marquée entre un muscle et son antagoniste compromet ce jeu
d’équilibre. Il est de la plus haute importance de fortifier également
les muscles antagonistes pour améliorer la précision des mouvements.
Par ailleurs, chaque muscle ne travaille pas isolément ; ce sont
des groupes musculaires qui sont sollicités et, le plus souvent, des
chaînes musculaires qui vont, pour certaines, de la tête aux pieds.
Attention donc à certains oublis dans le travail solitaire qui, outre
des déficiences techniques, peuvent occasionner bien des tracas d’ordre
médical :
- Les pompes se complètent par des tractions.
- Les bras et des jambes doivent trouver un appui
solide pour démarrer vivement et percuter durement la cible ; un
tronc puissant, avec des muscles bien coordonnés, est indispensable.
- La belle sculpture des abdominaux ne doit pas faire
oublier le travail des lombaires, des dorsaux et des fessiers.
- La puissance des mawashi-geri réside pour
une bonne part dans les quadriceps. Ura-mawashi-geri a besoin
d’ischio-jambiers et de mollets solides. Mais surtout, ces deux
mouvements ont besoin d’antagonistes puissants pour être parfaitement
guidés et contrôlés.
- La musculation régulière et répétée
raccourcit inéluctablement les muscles qui perdent leur extensibilité.
Avec deux conséquences :
- La force pure augmente mais la puissance et
l’énergie stagnent ou diminuent, car la plus faible amplitude de
travail
et le renforcement de la raideur des tissus conjonctifs pénalisent la
prise de vitesse.
- La souplesse se détériore puisque les muscles font
obstacle à sa pleine expression. En effet, la raideur trouve autant son
explication dans la perte d’extensibilité des muscles que dans
l’articulation elle-même.
Une déduction s’impose : afin
d’éviter pertes de puissance et de souplesse, le renforcement
musculaire doit toujours être complété par des étirements.
Méthodes de musculation
Lors d’une contraction musculaire, le
travail peut être :
- Concentrique : le muscle se raccourcit (les
triceps à la remontée d’une pompe).
- Excentrique : le muscle s’allonge en freinant un
mouvement (réception d’un saut).
- Isométrique : l’effort est statique (gainage de
l’ensemble des muscles du tronc et des jambes en appui prolongé sur les
coudes et les pieds).
- Pliométrique : passage d’un travail excentrique
à un travail concentrique sans temps mort (succession de sauts en
rebond).
Les culturistes recherchent le volume
musculaire, les haltérophiles cultivent essentiellement la force. Ce
sont des cas particuliers du sport sur lesquels il n’est pas bon de
prendre exemple. Dans la plupart des autres sports, la force est conçue
comme un préalable au travail de vitesse et d’explosivité. Les
préparateurs physiques d’athlètes de haut niveau, qui exige d’exacerber
certains paramètres de la performance, ont élaboré des méthodes de
musculation sophistiquées pour obtenir le résultat convoité.
Aujourd’hui, les haltères
paraissent ringards quand on découvre l’allure futuriste des machines
de musculation modernes. Les calculs alambiqués qui définissent un
programme d’entraînement (muscle sollicité, forme de travail, matériel
utilisé, charge, nombre de répétitions, vitesse d’exécution, temps de
repos entre les séries, nombre de séries, espacement des séances, et
surtout évolution de chaque paramètre) sont de la compétence exclusive
d’experts qui n’utilisent pas tous, loin s’en faut, les mêmes abaques
ou équations.
Rien n’interdit au budoka d’utiliser ces machines et ces
méthodes si le cœur lui en dit, mais les arts martiaux à mains nues
nous ont habitués à négliger l’accessoire et, dans l’action, à faire
plus confiance aux sens qu’à l’intellect. En conséquence, nous
conseillerons de privilégier la musculation sans matériel spécialisé ni
calculs complexes. Cette solution présente plusieurs avantages :
- Ne coûte rien.
- Facile à mettre en œuvre.
- Moins de risques de blessures — il est tentant,
avec les machines, de se tester avec des résistances démesurées.
- Pas ou peu d’hypertrophie musculaire — souvent
redoutée par les femmes.
- Développement implicite du ressenti — recours
exclusif à ses sens pour déterminer les paramètres de l’exercice.
Le plus souvent, surtout sans matériel,
vous travaillerez des groupes ou chaînes musculaires et non des muscles
isolés. C’est encore un avantage car cela favorise la coordination.
Notre art martial demande de la puissance, surtout dans sa composante
vitesse explosive ; la plupart des exercices seront donc pratiqués
à des cadences élevées et la pliométrie largement utilisée :
sauts, rebonds et répulsions en successions rapides. Attention ces
exercices peuvent se révéler traumatisants s’ils sont abordés sans
échauffement ni progressivité.
Les exercices de musculation trouvent
leur efficacité dans la répétition. Diverses formes peuvent
s’envisager, mais la plus courante consiste à enchaîner des séries
identiques. Si vous débutez, commencez par cette forme. Des séries de
dix répétitions conviennent bien ; vous pourrez ultérieurement
utiliser des séries progressives. Cinq séries pour commencer, ou moins
si nécessaire, que vous pouvez augmenter, sans vous précipiter et en
fonction de votre aisance à les réaliser, jusqu’à dix ou quinze. Chaque
série peut ensuite être portée à quinze ou vingt répétitions à
condition de conserver un rythme élevé. Arrivé à ce stade, vous pouvez
augmenter la charge de travail en modifiant le geste :
- Les pompes en appui sur les genoux passeront à
l’appui sur les orteils.
- Les sauts seront plus hauts ou plus longs.
- les squats se feront sur une jambe, l’autre à
l’équerre, avec au début l’aide d’un bras tenant un support (à prohiber
si vous souffrez des genoux).
- etc.
Quand la charge naturelle atteint son
maximum, l’utilisation de lests additionnels peut s’envisager,
cependant, il est préférable de trouver des astuces pour augmenter la
contrainte sans utiliser d’artifice. Exemple : les pompes seront
rendues plus difficiles en modifiant les modalités d’exécution.
- Position des mains différente (très écartées, l’une
sur l’autre, sur les doigts, etc.).
- Mouvements de vague avec posé des coudes et retour en
appui palmaire.
- Claquement de mains à chaque répulsion (devant ou
derrière).
- Pompes sur un bras.
- Séries plus longues (certains dépassent les 100
pompes d’affilée, mais est-ce vraiment utile pour un karateka ?).
Ces variations permettent de mobiliser
l’ensemble des fibres et des fuseaux musculaires qui ne travaillent pas
tous en même temps lors d’un geste particulier.
Ne cherchez pas l’exploit dans vos premières séances, brûler les étapes
n’est pas une bonne stratégie, mais l’amélioration doit être
perceptible après quelques semaines, sinon augmentez la dose de travail
ou modifiez la fréquence de vos séances.
L’isométrie se retrouve dans tous les
exercices de gainage, véritable assurance santé pour la colonne
vertébrale et paramètre essentiel de l’efficacité du kime.
Inutile, toutefois, d’aligner d’interminables séances de gainage
statique, car c’est dans l’action qu’il acquiert son maximum de
pertinence. Le renforcement classique des abdominaux et dorso-lombaires
participe à l’élaboration de cette capacité et de nombreux exercices
dynamiques (pompes, abdominaux, keri-waza, etc.) exigent un bon
gainage pour être efficaces et sans danger, notamment pour la région
lombaire. Appliquez-vous à bien sentir ce gainage quand vous les
exécutez et soignez vos kime en verrouillant le bras du hikite
pour bien contracter les dorsaux.
La récupération est une phase
essentielle du travail de musculation. Elle nécessite du temps, une
bonne hydratation, une alimentation équilibrée et un sommeil
réparateur. Le temps de récupération est une donnée controversée dans
les milieux sportifs car, en définitive, il est propre à chacun. On
peut établir une moyenne, mais les écarts sont trop importants pour
qu’elle revête une quelconque utilité. Par tâtonnement, vous devez
trouver ce qui vous convient. En fonction de votre état du moment, ce
laps de temps variera dans des proportions parfois considérables.
La musculation permet d’être de plus en plus fort, rapide ou endurant.
Mais l’effort fatigue. Si vous répétez trop tôt un exercice qui vous a
épuisé, vous n’arriverez pas à l’achever, a fortiori à
progresser ; trop tard le bénéfice du phénomène de surcompensation
aura disparu. C’est en effet grâce à celui-ci que la performance peut
s’améliorer si la séance suivante intervient dans un créneau de temps
allant d’environ un jour et demi à plus de dix jours. À chacun de
trouver son rythme en vérifiant qu’il progresse régulièrement.
Pour éviter des séances longues et
fastidieuses, il est souhaitable de les diviser et de changer de
groupes musculaires à chaque fois — stratégie obligatoire si votre
cadence est journalière. Cependant, trois séances par semaine d’une
demi-heure maximum devraient apporter un résultat notable en quelques
mois à la plupart des sportifs. De toute façon, la cadence de démarrage
sera forcément arbitraire ; ce sont les résultats qui commanderont
les modifications nécessaires. Quand vous aurez atteint votre objectif,
sur lequel il faut se garder de surenchérir perpétuellement, la
maintenance de vos capacités ne nécessitera plus de gros
investissements.
Pour rompre la monotonie de séances de
musculation classiques, pensez à des activités différentes ; le
cyclisme par exemple. Cependant, un peu de réflexion et quelques
aménagements peuvent rendre l’effort plus constructif. Avec des pédales
plates classiques, vous poussez dessus ; le travail est
déséquilibré puisque les antagonistes ne participent pas à l’action.
Avec des pédales automatiques, ou des cale-pieds, une jambe pousse,
l’autre tire et c’est toute la chaîne musculaire qui se coordonne,
tronc et bras compris. De plus vous faites intervenir le réflexe
controlatéral qui harmonise l’opposition des mouvements de flexion et
d’extension. Pour un travail de musculation renforcé, montez des côtes
et comme vous préférez développer la vitesse plutôt que la force,
adoptez un développement court pour toujours mouliner à cadence élevée.
Bien sûr, d’autres sports peuvent faire l’objet d’une démarche
comparable.
Pour clore ce chapitre, nous
rappellerons l’impérative nécessité de ne pas se blesser.
- Lors d’exercices pliométriques (par
exemple la répétition en rebonds de sauts à pieds joints depuis une
surface surélevée et retour sur celle-ci) où une chute est toujours
possible, l’environnement est-il suffisamment dégagé ? La surface
surélevée est-elle stable ?
- Le positionnement de la tête, du
rachis ou du bassin est-il compatible avec le dynamisme de certains
mouvements ? Il faut absolument bannir les ondulations brutales de
tout ou partie de la colonne vertébrale ; pensez à bien gainer.
Même dans des exercices statiques ou lents, le bon placement de
l’ensemble du corps doit être l’objet d’une stricte surveillance.
L’objectif, grâce à l’investissement
consenti, est d’améliorer sa condition physique, pas de se détruire.
Soyez précautionneux et, dans la mesure où vos efforts amènent de réels
progrès, n’en rajoutez pas trop, d’autant qu’il va falloir
impérativement consacrer du temps aux étirements, sinon, les ennuis
médicaux et la dégradation de vos performances sont assurés.
D’ailleurs, durant les cours de karaté vous sollicitez vos muscles de
façon répétitive ; chaque entraînement constitue en lui-même une
séance de musculation. C’est pourquoi, la musculation pure ne devrait
intervenir qu’en cas de déficit général avéré ou de besoin de
rééquilibrage, situation malgré tout assez fréquente qui nécessite un
travail ciblé.
Souplesse articulaire
Les problématiques d’un sportif souple
et d’un autre raide ne sont pas les mêmes ; l’un veut conserver sa
souplesse, l’autre désire l’acquérir. Les méthodes, les exercices, les
efforts nécessaires n’auront sûrement rien de semblable. De plus, la
raideur n’affecte pas toujours de façon homogène toutes les
articulations et une même articulation est parfois raide sur un axe et
souple sur un autre. Dans un cours collectif, tous ces cas cohabitent.
L’entraîneur est confronté à une mission quasi impossible même s’il a
bien repéré les handicaps et limitations de chacun. Il va donc falloir
vous prendre en main vous-même si vous voulez vraiment améliorer votre
souplesse.
D’autre part, on l’a vu précédemment, la musculation, quel qu’en soit
l’objectif (force, explosivité, puissance, vitesse, résistance ou
endurance), provoque un rétrécissement des muscles, mais également un
renforcement, en épaisseur et solidité, de la capsule articulaire, des
ligaments, des tendons et des différentes membranes du muscle.
L’articulation est mieux contrôlée, comme tenue par des élastiques plus
puissants, mais aussi moins libre.
Une distinction sémantique conventionnelle oppose les étirements
destinés à restituer aux muscles leur longueur optimale et les
assouplissements qui visent l’étirement des tissus conjonctifs et
l’allongement des muscles au repos. En pratique, cette différence est
assez délicate à établir, car ce sont souvent les mêmes exercices qui
servent dans les deux cas et, il faut bien le souligner, il est
inimaginable d’étirer un muscle sans toucher à l’articulation et
vice-versa. Nous verrons néanmoins une possibilité de nuancer cette
assertion. Examinons donc pour commencer les exercices proposés par les
spécialistes de la préparation physique.
Dynamique, statique, actif, passif,
activo-dynamique, PNF, myotensif, contracté-relâché, CRE, CRAC,
balistique, stretching, yoga, eutonie, relaxation… On pourrait remplir
des pages avec les intitulés des techniques d’assouplissement et leurs
nombreuses déclinaisons. Quant à leur objectif, la manière de les
utiliser, le moment adéquat… la cacophonie des opinions est
inécoutable. Pourtant, presque toutes ces méthodes ont présenté des
preuves d’efficacité sur certains sportifs… seulement sur certains, et
pas toujours sur les mêmes profils. La principale dérive, qui entraîne
cette zizanie, réside dans l’usage massif et inconsidéré de
conclusions, souvent hâtives et simplistes, produites par des
vulgarisateurs d’études scientifiques ou prétendues telles. On en
retient des statistiques, des pourcentages ou des moyennes et on oublie
que les écarts entre les chiffres dont on a tiré ces résultats sont
importants quelle que soit l’étude. La prétendue meilleure méthode ne
sera peut-être pas celle qui vous conviendra car aucune ne peut
prétendre à la panacée. Laquelle vous est donc adaptée ? Si vous
attendez qu’on vous le dise, c’est sans doute que vous êtes joueur ou
quelque peu inconscient. Là encore, la seule solution sérieuse réside
dans la connaissance de soi et de ses réels besoins. Peut-être
faudra-t-il y adjoindre quelques connaissances techniques, beaucoup de
bon sens et divers tâtonnements avant de trouver la bonne réponse.
Parmi les techniques d’étirement
couramment proposées, certaines sont jugées trop compliquées, d’autres
sont réputées dangereuses ou encore inefficaces. Ces opinions émanent
souvent des adeptes d’autres méthodes ou sont formulées par des naïfs,
ou des hypocrites, qui assignent aux étirements des objectifs qui ne
sont pas les leurs. Nous ne nous laisserons pas influencer par le chant
des sirènes de la médisance et procéderons à une exploration conduite
par la logique.
Gestion du réflexe myotatique
En fait, s’assouplir ou s’étirer est
mécaniquement simple. Pour ouvrir un compas, il suffit de tirer sur les
deux branches pour les écarter. Si l’articulation est grippée, il
faudra exercer une force plus élevée. Rapportée à l’anatomie humaine,
la problématique est toujours aussi simple. Sauf que forcer sans
retenue sur une articulation raide est la garantie de devoir consulter
sans délai son thérapeute favori. A contrario, ne pas forcer
suffisamment n’amènera rien du tout. Il va donc falloir procéder avec
discernement pour obtenir un résultat correct sans abîmer la précieuse
mécanique musculo-articulaire, mais, quelle que soit la méthode mise en
œuvre, la principale pierre d’achoppement restera l’ensemble des
contractions qui s’opposent à l’étirement : d’une part le réflexe
myotatique, d’autre part les crispations parasites plus ou moins
involontaires déclenchées par le souvenir d’événements traumatiques
désagréables. Des muscles trop toniques en permanence, impossibles à
relâcher, ajouteront un obstacle supplémentaire.
Le réflexe myotatique se présente sous deux formes avec contraction
forte :
- Dynamique : lors d’un étirement violent ;
il dure une fraction de seconde.
- Statique : quand un étirement inconfortable se
prolonge ; il dure deux à dix secondes (ces temps sont avancés par
des spécialistes, mais je doute de leur pertinence).
Et une forme avec contraction
modérée :
- Maintient du tonus nécessaire à la stabilisation
d’une position.
Les formes dynamique et statique
favorisent la survenue des crispations d’origine psychologique,
elles-mêmes amplifiées par l’excès de tonicité de certains sportifs.
Posons-nous donc la seule question qui vaille vraiment : comment
déjouer le réflexe myotatique et atténuer les appréhensions qui
freinent l’étirement ? De fait, la deuxième partie de la question
se résoudra en partie d’elle-même quand on aura la réponse à la
première puisque ces crispations sont souvent induites par le réflexe
myotatique, mais sans doute ce frein mental nécessitera-t-il une
approche plus mesurée afin de rétablir la confiance.
Partons de quelques constatations sur
les réactions à l’étirement musculaire corroborées par de nombreux
travaux universitaires.
- Quand l’étirement est très lent, le
réflexe myotatique se déclenche plus tardivement. Seul ou avec l’aide
d’un partenaire, étirez-vous de façon passive très doucement. Dès que
la crispation apparaît, relâchez et recommencez encore plus
délicatement.
- Un étirement balistique (mouvement
lancé) mais limité en amplitude qui n’a pas entraîné le réflexe de
protection peut être réitéré en allant graduellement plus loin sans
contraction parasite. À pratiquer exclusivement sur des muscles chauds.
Évitez de démarrer trop vigoureusement ces étirements et amplifiez le
mouvement très progressivement.
- La contraction d’un muscle provoque
le relâchement de son antagoniste. Les étirements actifs exploitent
cette caractéristique, mais cette décontraction réflexe se prolonge
quelques instants après l’arrêt de la contraction, temps suffisant pour
étirer passivement cet antagoniste.
- Un muscle préalablement contracté
s’étire plus facilement, car cette contraction inhibe provisoirement le
réflexe myotatique de celui-ci.
- La relaxation, la méditation, un
certain confort, une ambiance sereine, un bon positionnement corporel
et surtout une respiration lente, profonde, abdominale contribuent au
relâchement musculaire. Vous pouvez aisément sentir la détente d’un
muscle étiré lors de l’expiration. Soignez le contexte dans lequel vous
vous étirez, adoptez cette respiration calme et conscientisée avant de
commencer vos étirements et maintenez-la durant tous vos exercices.
- Il n’y a guère de profit à tirer
longuement (plus de 30 secondes) sur un muscle contracté. Soit on
parvient à le relâcher grâce à l’expiration ou des auto-massages, soit
on recommence la procédure en veillant à éviter réflexe myotatique et
crispations secondaires. Trois ou quatre étirements de courte durée
procurent généralement un meilleur résultat qu’une obstination sur un
muscle récalcitrant. Cela est vrai pour la plupart des sportifs, mais
certains
trouveront un bénéfice à s'étirer longuement.
Il est possible que certaines de ces
suggestions ne vous procurent pas le résultat escompté dans votre
recherche de gain en souplesse ; le réflexe myotatique, ses
variantes et les crispations d’origines diverses ne se manifestent pas
sur tous les sportifs de la même manière. Mais si vous parvenez à bien
vous connaître — en l’occurrence à distinguer les limitations
d’ordre mécanique de celles d’ordre psychologique —, vous
découvrirez rapidement les formules les mieux adaptées à votre cas
personnel. Attention, la méthode la plus efficace peut changer en
fonction de l’articulation visée ou de vos dispositions du moment.
Surtout, ne désespérez pas ! il vous faudra peut-être tout tester
pour découvrir la bonne solution et, parfois, les résultats
n’apparaîtront qu’après avoir soigneusement affiné la procédure
d’étirement, car la manière dont le corps réagit est souvent
surprenante. D’ailleurs, le premier résultat ne sera pas toujours celui
qui était visé ; avant de gagner de l’amplitude de mouvement, vous
découvrirez peut-être une aisance nouvelle ou un simple mieux-être. Les
progrès sont souvent lents, mais vous devez les constater, sinon vous
devrez parfaire votre méthode.
Ne vous acharnez pas ; soit vous pratiquez des étirements légers
régulièrement, soit vous préférez des séances plus soutenues, mais,
dans ce cas, vous ne devez pas répéter les mêmes exercices plus de deux
fois par semaine, et jamais en étant fatigué ou courbaturé.
La simple récupération de la longueur
optimale des muscles ne se heurte pas aux mêmes difficultés. Il suffit
de s’étirer très régulièrement en n’oubliant aucune partie du corps.
Malheureusement, une période sans étirement, même sans sport, conduit
automatiquement à un rétrécissement musculaire qui limite l’amplitude
articulaire. On se retrouve dans la nécessité d’un assouplissement et
non d’un étirement.
Le corps est commandé par l’esprit. Compréhension, décision,
motivation, volonté, freins psychologiques… tout provient de l’esprit.
Si vous vous heurtez à des difficultés insurmontables, c’est peut-être
un travail sur l’esprit qui ouvrira les vannes du travail productif sur
le corps.
Techniques d’étirement
En dépit de la pléthore de méthodes
d’étirement et d’innombrables dénominations qui recouvrent souvent des
techniques proches ou identiques, voici en résumé les types d’étirement
qui méritent d’être testés avec une illustration pratique pour chacun.
- Étirements dynamiques.
La position d’étirement d’un groupe musculaire est atteinte sans aide
extérieure grâce à la contraction des antagonistes.
Exemple : en seiza, dos bien droit, placez le dos d’une
main sur les vertèbres lombaires, tirez lentement le coude vers
l’arrière, puis décollez la main du dos pour étirer davantage
l’épaule ; tenez 2 secondes. Répétez 5 à 10 fois.
- Étirements dynamiques amplifiés.
Comme précédemment, puis amplification passive de l’étirement.
Exemple : debout, vous élevez activement mais lentement, le plus
haut possible, une jambe en position finale de yoko-geri-kekomi,
puis faites-vous aider pour gagner 10 % d’amplitude ;
position
tenue 2 secondes. Répétez 5 à 10 fois. Vous pouvez monter jambe tendue
ou selon la trajectoire du kekomi ; les deux sont
bénéfiques.
- Étirements balistiques.
Mouvements répétitifs de grande ampleur. Position finale non tenue.
Exemple : en zen-kutsu dachi, lancers vers l’avant et le
haut de la jambe arrière tendue et retour à la position de départ.
- Étirements activo-dynamiques.
Un muscle est placé passivement en position d’étirement, contracté,
puis mobilisé de façon dynamique et répétée. Étirement et contraction
préparent le muscle à son cycle fonctionnel.
Exemple : debout, jambes tendues, un talon posé sur un support
légèrement surélevé par rapport au sol, tournez les hanches face à
celui-ci et inclinez le buste gainé vers l’avant pour étirer
l’ischio-jambier 5 à 10 secondes ; contraction du muscle précité 5
à 10 secondes en tentant d’écraser le talon sur le support, puis série
dynamique de talons aux fesses.
- Étirements statiques.
Réalisés sans contraction grâce au poids du corps ou avec l’aide d’un
partenaire.
Exemple : en position assise, un partenaire ouvre lentement le
compas formé par vos jambes tendues ; position maintenue 20 à 30
secondes.
- Étirements
PNF (Proprioceptive Neuromuscular Facilitation).
Étirements passifs après inhibition du réflexe myotatique par
contraction du muscle cible ou de l’antagoniste.
- Contraction, relâchement,
étirement (CRE).
Exemple : bras tendus devant vous à hauteur d’épaule, vous pressez
fortement une main contre l’autre 5 à 10 secondes (contraction des
pectoraux) ; relâchez 2 à 6 secondes puis écartez horizontalement
les bras et, en vous plaçant dans un angle de mur, avancez le buste
pour amplifier l’angle d’ouverture (étirement des pectoraux) ;
tenez 5 à 20 secondes.
- Contraction d’un muscle,
étirement de l’antagoniste.
Exemple : debout, dos au mur, élévation active sur le plan frontal
d’une jambe tendue ; blocage à mi-parcours (45°) par votre
partenaire et poursuite de l’effort isométrique vers le haut pendant 5
à 10 secondes (contraction du quadriceps et du fessier) ;
relâchement de 2 à 6
secondes et élévation passive maximale de la jambe tendue (étirement de
l’ischio-jambier). Tenez 5 à 20 secondes.
- Contraction, relâchement,
étirement avec contraction de l’antagoniste (CRAC).
Exemple : debout près d’un mur pour maintenir l’équilibre, une
jambe tendue sur le côté en position de yoko-geri-kekomi, un
partenaire l’élève lentement à son maximum pour étirer les adducteurs
(intérieur de la cuisse). Descente de quelques centimètres, maintien
sous le talon par le partenaire et effort isométrique maximal sur le
talon vers le bas en contractant les adducteurs pendant 5 à 10
secondes. Relâchement de 2 à 6 secondes et nouvel étirement par le
partenaire. À cet instant, vous rajoutez une contraction des abducteurs
(extérieur de la cuisse) pour maintenir la décontraction de vos
adducteurs et aider l’élévation de la jambe ; tenez 5 à 20
secondes.
La dernière partie de cet exercice n’est pas facile à réaliser, mais
elle mérite d’être testée et d’y mettre un peu de persévérance.
Quelques conseils :
- Les temps indiqués sont indicatifs ; en fonction
de votre ressenti, vous pouvez les modifier sensiblement.
- Attendez au moins 30 secondes avant de répéter un
étirement PNF.
- Vérifiez en permanence le bon placement de votre
corps.
- Pratiquez des expirations lentes et profondes pour
vous relâcher.
- Ménagez les muscles fatigués et n’étirez pas ceux qui
sont blessés.
- Évitez les à-coups et dans les mouvements
balistiques, relâchez bien l’articulation visée, mais gainez le tronc.
- Sauf pour un travail d’assouplissement ciblé,
procédez toujours de façon équilibrée : agoniste et
antagoniste ; devant et derrière ; droite et gauche ;
haut et bas.
- Répétez vos étirements sous différents angles afin de
solliciter les différentes fibres, faisceaux et chefs musculaires.
- Pour être efficaces, vos étirements doivent dépasser
la zone de confort, mais ne jamais entrer en zone de douleur. La
formule « douleur agréable » semble parfaitement appropriée.
Tous ces étirements peuvent se pratiquer
seul ; parfois au prix de quelques bricolages astucieux. Vous
trouverez aisément des solutions, mais voici un exemple : pour
lever passivement votre jambe tendue, vous pouvez tirer sur une sangle
fixée à la cheville qui passe sur une barre située au-dessus de vous.
Reste à savoir quand s’étirer, dans quel
but et avec quelle méthode. Deux périodes sont évoquées par la plupart
des spécialistes : l’échauffement et la fin de l’entraînement
consacrée à la récupération et au retour au calme. Certes, les experts
les préconisent, les sportifs les réclament ; il est donc logique
que l’entraîneur classique, désireux de bien faire sans trop se poser
de questions, insère les étirements dans ces deux phases de son
entraînement. Mais sont-ce les meilleurs moments pour s’étirer ou
s’assouplir ? Poser la question constitue déjà une remise en
question de la tradition sportive. Nous allons approfondir ce point,
mais le sport n’est pas la seule activité — ou inactivité —
qui justifie la pratique des étirements ; il faut aussi prendre en
compte la nécessité de combattre les méfaits de la vie moderne.
Quand vous restez longtemps assis, en voiture, au bureau ou dans votre
canapé, vous éprouvez le besoin de vous dérouiller de temps en temps,
car le corps n’apprécie pas plus l’inactivité que les excès de
l’activité. La position assise, outre les tensions mécaniques qu’elle
occasionne sur les vertèbres lombaires, même en se tenant droit,
raccourcit les quadriceps et étire les fessiers. Conséquence : des
quadriceps qui accentuent la cambrure lombaire (lordose) et des
fessiers trop lâches incapables de s’y opposer. Cela peut être
dramatique si vous avez déjà souffert de lumbago, sciatique ou
cruralgie. Que ce soit dans un but curatif ou préventif, vous devriez
périodiquement — toutes les heures ? —, activer vos
articulations et vous étirer, pas forcément longuement, mais de façon
bien ciblée : entre autres, un étirement des quadriceps et une
mobilisation active de toutes les articulations ayant souffert de
l’immobilité. Pensez à un éventuel renforcement ultérieur de vos
fessiers si ces stations assises sont très fréquentes. Ces activations
articulaires et ces étirements réguliers demandent peu de temps, car il
n’est pas indispensable de s’échauffer.
Quand s’étirer ?
Un muscle chaud, mais pas fatigué, se
relâche et s’étire plus facilement. La chaleur peut avoir une
provenance interne (effort), externe (pommade chauffante, douche chaude
ou sauna) ou les deux (vêtements chauds et effort). Étirez-vous donc à
chaud quand vous le pouvez, mais, attention, l’étirement d’un muscle
venant de produire de gros efforts entraîne des microtraumatismes qui
retardent la récupération ; après un entraînement intensif
attendez le lendemain ou plus en cas de courbatures. Même après un
effort moyen, il vaut mieux attendre un peu ; sous la douche bien
chaude qui suit l’entraînement ou deux heures plus tard, c’est parfait.
Les étirements à froid, longtemps
décriés, ne sont pas contre-indiqués, loin de là. Froid, le muscle est
plus raide, car les myofilaments glissent moins aisément les uns sur
les
autres. La différence avec un muscle chaud est une évidence pour tous
les sportifs conscients de l’origine de leur performance. Dans ces
conditions, l’allongement lors d’un étirement concerne davantage les
tissus conjonctifs : membranes, tendons, capsule. C’est sans doute
le meilleur moyen d’obtenir un assouplissement plutôt qu’un simple
étirement du muscle. Évidemment, si avec des muscles chauds il faut
être attentif à ne pas provoquer de lésion, à froid, il est strictement
interdit d’aller jusqu’à la douleur. En respectant cette consigne, le
bénéfice devrait être notable, car la souplesse réellement
fonctionnelle
et utilisable au quotidien est celle que l’on a à froid.
Cela nous amène à une
préconisation : étirez-vous le plus souvent possible, quand
l’opportunité se présente ou quand vous le jugez nécessaire, sans vous
traumatiser — pas d’étirement brusque ou balistique à
froid —, et dès le réveil. Certains se disent réfractaires à toute
activité physique au petit matin. Pourtant, dans le lit, quelques
étirements de l’ensemble du corps, doux et progressifs, permettent de
démarrer la journée avec plus d’entrain. S’étirer devrait être un
réflexe naturel et bénéfique après une immobilisation prolongée.
Inspirez-vous du comportement des félins qui ne manquent pas une
occasion de se détendre ; leurs muscles et articulations sont
semblables aux nôtres. Il suffit de quelques secondes pour étirer un ou
deux groupes musculaires. Les longues séances ne sont donc pas
nécessaires, mais il faut s’habituer à intercaler ces micro-séances
entre les différentes activités journalières. Ces étirements seront le
plus souvent passifs et toujours lents. N’ayez pas peur du ridicule si
des collègues vous regardent d’un œil goguenard ; gageons même que
certains finiront par vous imiter quand ils auront compris la
pertinence de ces mouvements.
Si vous voulez gagner en souplesse, il
sera peut-être indispensable d’effectuer un travail plus soutenu.
Toutes les formes d’étirement passif sont utilisables.
Assouplissez-vous à froid, puisqu’à chaud ce sont surtout les
myofilaments qui glissent les uns sur les autres alors que vous
souhaitez allonger l’ensemble des tissus conjonctifs. Si les
contractions réflexes et parasites contrarient vos efforts, essayez
sérieusement les étirements PNF, mais attendez au moins 48 heures avant
de reprendre le travail sur un même groupe musculo-articulaire. Pour
corriger l’amplitude des articulations particulièrement récalcitrantes,
des séances dédiées pourront s’avérer nécessaires. Dans ce cas, soignez
tous les détails : la technique, le confort, l’ambiance, la
disponibilité d’esprit… Commencez donc par une simple relaxation, un mokuso,
et chronométrez les phases de chaque exercice car une modification de
quelques secondes peut changer l’état d’un muscle, sa réactivité et la
facilité d’apparition des réflexes de protection.
Par définition, l’échauffement consiste
à élever la température corporelle, mais aussi à préparer le corps et
l’esprit à fournir de gros efforts ou à subir des contraintes
importantes. Les étirements actifs et activo-dynamiques contribuent
bien à cette mise en condition générale. Les étirements passifs ne sont
pas prohibés, mais ils n’échauffent pas les muscles et les rendent
moins réactifs dans l’heure qui suit ; à utiliser en connaissance
de cause. Cette phase de l’entraînement n’est pas destinée, sauf séance
spécifique, à l’assouplissement, mais à une préparation aux efforts
violents. Le simple fait de définir son objectif évite bien des
confusions.
Au milieu d’un entraînement d’art
martial, un étirement ciblé peut s’avérer pertinent pour amorcer le
travail d’une technique particulière, mais il ne doit pas être
accompagné d’un relâchement trop prolongé qui induirait une baisse
notable de la température corporelle. À ce moment, les étirements
passifs ne sont pas conseillés puisqu'ils compriment durablement les
vaisseaux qui amènent les éléments régénérateurs et évacuent les
déchets métaboliques à un moment où le muscle a le plus grand besoin de
ces transferts.
En fin de séance, les étirements, outre
leur fonction de rétablissement de la longueur optimale des muscles,
doivent contribuer au retour au calme et à la relaxation. Le dynamisme
est à proscrire ; l’idée d’assouplissement également. Seuls les
étirements passifs statiques peuvent trouver leur place à ce moment,
mais en ne les maintenant ni trop vivement, ni trop longtemps pour
éviter d’asphyxier le muscle. En dehors de la restitution de la
longueur optimale du muscle, n’en attendez pas des miracles : ils
n’atténuent pas les courbatures, toutes les études le prouvent, et
risquent même de retarder la récupération, surtout après des efforts
intensifs. Qui plus est, dans un cours collectif, il est difficile de
connaître précisément l’état musculaire de chaque sportif à la fin de
l’entraînement et, en conséquence, les étirements adaptés à chacun. Il
est souhaitable de laisser la place à l’initiative personnelle. Chaque
personne s’étirera, ou pas, ou plus tard, comme il lui convient. On
favorise ainsi la connaissance de soi, pilier essentiel de
l’exploitation raisonnée de son potentiel physique et mental.
Automassages
La musculation quelque peu soutenue
provoque des microlésions au sein des fibres musculaires. Celles-ci
sont à l’origine des courbatures ; l’acide lactique, métabolite
qui limite la durée des efforts intenses, longtemps tenu pour
responsable, n’y étant pour rien, car il disparaît en moins d’une
heure.
La réparation de ces blessures au sein des fibres s’effectuera
naturellement en quelques jours. Quand le muscle est fatigué, les
étirements, même légers, créent également des microlésions qui
s’ajoutent aux précédentes et retardent copieusement la restauration de
l’intégrité musculaire. On se gardera donc d’enchaîner sans délai
musculation soutenue et étirement sur un même groupe musculaire.
Cependant, ces microtraumatismes ne se guérissent pas toujours de façon
idéale. Souvent, ils provoquent des adhérences — développement
d’une fibrose — entre les différents tissus : structures
musculaires, nerfs, vaisseaux et peau qui ne glissent plus correctement
les uns sur les autres. Les massages apparaissent comme le remède
idoine pour rétablir les plans de glissement. Attendu qu’il est rare de
disposer à plein temps de son kinésithérapeute personnel, les
automassages représentent l’unique solution viable.
Le sportif lambda n’a aucune connaissance des techniques de
kinésithérapie et il est hors de question de lui donner une illusion de
compétence en ce domaine. Nous proposerons donc des techniques
extrêmement simples, accessibles à tous et n’utilisant aucun matériel
particulier.
L’objectif assigné à ces automassages
est de faire disparaître les adhérences. Pour cela, il suffit de
mobiliser les différentes structures, musculaires, nerveuses et
vasculaires, pour résorber ces développements de fibrose :
frictions plus ou moins appuyées, percussions légères, malaxages, mais
toujours sur des muscles relâchés ; rien donc de bien compliqué.
Vous pouvez également faire rouler une balle de tennis ou un rouleau à
pâtisserie sur l’ensemble musculaire à masser.
Oubliez les muscles blessés ou trop douloureux et commencez sur les
autres avec délicatesse ; vous augmenterez la vigueur de vos
massages progressivement en fonction de vos besoins. Ces automassages
détendent les muscles, accélèrent la récupération, résorbent les
adhérences et peuvent dénouer une contracture. Ne négligez aucune
partie du corps ; la plante des pieds, la nuque ou les tempes sont
souvent oubliées.
Reste à définir la fréquence de ces
massages auto-administrés. La réponse est simple : le plus souvent
possible. Dans le lit, sous la douche, avant ou après l’entraînement.
Même assis à votre bureau ou au cinéma, vous pouvez triturer vos
quadriceps, vos ischio-jambiers, vos adducteurs et abducteurs, vos
pectoraux, vos triceps et biceps, etc. Quant à ceux dont les muscles
trop toniques leur infligent une limitation excessive de l’amplitude
articulaire qu’ils n’arrivent pas à corriger, ces manipulations
pourraient bien constituer une part non négligeable de la solution.
Essayez sérieusement ces automassages, que vous pouvez associer à des
mobilisations articulaires douces et progressives, étirez-vous
régulièrement, équilibrez vos qualités de souplesse et de
puissance ; quel que soit votre âge, vous améliorerez votre
aisance, vos performances et votre santé.
Dans tous les sports, on remarque
d’abord ceux qui réussissent : les champions bien sûr, mais aussi
les sportifs anonymes dont la progression est rapide et régulière. Sans
doute sont-ils dotés de prédispositions naturelles, car ils se
distinguent dès leurs premiers entraînements, mais, invariablement,
leur temps de pratique hebdomadaire se révèle largement supérieur à la
moyenne. La plupart ne se contentent pas des cours offerts par leur
club et prennent des initiatives qui s’avèrent souvent payantes pour
renforcer leurs qualités physiques.
Les autres, ceux que la nature n’a pas dotés de dons exceptionnels, qui
avancent moins vite, voire laborieusement, pourraient tous améliorer
leur progression de manière sensible en modifiant leur manière
d’aborder l’activité sportive et en fournissant eux aussi une petite
dose d’investissement personnel. En général, ces sportifs attendent
quasiment tout, ou trop, des cours proposés par leur entraîneur, car
ils s’imaginent que celui-ci possède toutes les clés de leur
progression. Or, on l’a vu, l’instructeur ne dispose généralement pas
des outils psychologiques, techniques ou organisationnels qui lui
permettraient d’adapter précisément ses entraînements de préparation
physique à chaque sportif. Sa compétence est souvent indéniable, mais
par la force des choses, elle se limite en pratique à la transmission
des qualités d’adresse et d’endurance, alors que celles-ci dépendent
étroitement de la souplesse et de la puissance. Certes, dans un cours
de karaté, on apprend des techniques d’étirement et de musculation,
mais elles sont rarement pratiquées au bon moment ni en conformité avec
les besoins individuels et souvent limitées en diversité. Si vous
faites partie de ceux qui aimeraient avancer plus vite, il est
impératif que vous assumiez le rééquilibrage de votre préparation
physique par un travail personnel bien conduit. Or, il n’y a que vous
qui puissiez savoir précisément ce qui vous serait bénéfique ; à
condition, bien sûr, que vous vous livriez à une introspection
psychologique et physique sans a priori qui vous procurera les réponses
exactes à la question : « De quoi ai-je réellement besoin
pour être au mieux de mon potentiel physique et spirituel ? »
Vous en savez maintenant assez pour
commencer. Il sera peut-être nécessaire de compléter votre panoplie,
tant en musculation qu’en étirement, en demandant des conseils, en
lisant quelques ouvrages ou en consultant certains sites Internet, mais
aucun ne vous dira ce qui vous convient précisément. À vous d’en
déterminer la forme, l’intensité, la périodicité et l’objectif ;
votre entraîneur peut vous aider, mais n’en attendez pas des miracles,
car il n’est ni devin ni omniscient. Cette vérité incontournable touche
tous les sportifs, mais dans l’art martial, elle fonde l’objectif
ultime : lors d’un recours vital aux techniques du budo,
votre instructeur ne sera pas là pour vous tenir la main ; il ne
peut y avoir qu’un seul vrai maître : vous !
En approchant de cette maîtrise, vous sentirez instinctivement d’où
provient votre efficacité. Ainsi, la souplesse est importante dans la
mesure où vous savez l’utiliser et la coordonner ; quant à la
puissance, celle qui permet de neutraliser l’ennemi en une fraction de
seconde, elle ne repose pas totalement sur les muscles. Il est
coutumier de séparer les arts martiaux internes (tai-chi-chuan, qi-gong)
et externes (karaté, judo, kendo, etc.) ; soit, d’une part ceux
qui s’intéressent à la production et à la gestion de l’énergie interne
et, d’autre part ceux qui se préoccupent en priorité de la maîtrise
gestuelle. Séparation qui met en évidence leurs lacunes respectives. Un
véritable art martial doit associer ces deux facettes. L’efficacité du
vrai budoka doit conjuguer la puissance musculaire et la
mobilisation explosive de toutes les sources d’énergie interne dont
l’esprit est le maître d’œuvre. Dans cette optique, votre mental est
aussi important que vos muscles ou votre liberté articulaire qui ne
doivent pas accaparer toutes vos sollicitudes. Cependant, même si cela
ne représente pas l’ultime clé de la réussite martiale, le comblement
de vos déficits, l’équilibrage de vos qualités de puissance, de
souplesse et leur entretien doivent être assurés avec le plus grand
soin, car ils sont le socle sur lequel tout l’édifice va reposer.
Après la lecture de cet article, vous
devriez posséder, quels que soient votre âge, votre condition physique
actuelle, vos antécédents traumatiques ou vos prétendues limites
naturelles, les idées et une partie des outils nécessaires à la mise en
place d’un programme de préparation athlétique personnalisé.
Évidemment, cela va impliquer quelques efforts, intellectuels pour
apprendre et comprendre, spirituels pour mieux vous connaître,
d’investigation pour découvrir les techniques qui correspondent le
mieux à vos besoins et physiques pour acquérir des capacités nouvelles,
mais il s’agit de vous, de vos performances, de vos compétences, de
votre santé, de votre plaisir, de votre épanouissement, et comme le
stipule une célèbre publicité, « Vous le valez bien ! »
Sakura Sensei
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