AUX SOURCES DU KARATÉ
HISTOIRE OU LÉGENDE ?
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BODHIDHARMA : l'origine ?
OKINAWA : le berceau du karaté
L’EXPANSION DU KARATÉ
COMMENTAIRES
BODHIDHARMA
Bodhidharma
En
l’année 520 de notre ère parvient au monastère de la Petite Forêt (Shao
Lin Shi en Chinois ; Sho Rin Ji en Japonais),
en Chine, un étrange individu à la peau claire, à la barbe hirsute et
au regard de braise, habillé comme un barbare du Sud (Nan) et qui
demande asile et protection. Son nom est
Bodhidharma.
Il s’agit, selon ses dires, du fils aîné du Roi Sughanda, descendant du
Bouddha, ce qui
fait de lui le vingt-huitième patriarche indien. (Ce voyage est
consigné dans une chronique chinoise datée
de 543.)
Venant des Indes il avait demandé un entretien à l’empereur Wu de la
dynastie des Liang, protecteur du bouddhisme en Chine, et avait
expliqué à ce dernier que malgré ses efforts et toutes les bonnes
actions accomplies il n’avait pas encore acquis l’ombre d’un mérite.
Selon Bodhidharma le seul mérite concevable résidait dans la
connaissance immédiate et mystique du néant de toute chose.
En un mot, les temples, les statues dorées, les images pieuses, les
rituels, les dons...
donc tout ce que le bouddhisme représentait en Chine... ne valaient
rien au regard de la recherche de l’illumination.
Cette illumination ne pouvait s’obtenir que par le biais de la
méditation, Dhyâna en sanskrit. Bodhidharma, littéralement l’Illuminé,
ne proposait pas moins à l’empereur qu’une nouvelle conception du
bouddhisme Mahâyâna et la remise en cause de tout un système moral,
philosophique et religieux auquel Wu avait consacré toute sa vie.
L’empereur le prit très mal et congédia Bodhidharma qui ne dut la vie
sauve qu’au simple fait d’être le fils du vingt-septième patriarche.
Il se réfugia donc dans le plus fameux monastère de l’époque.
Ce
monastère de la Petite Forêt situé à
une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de Deng Feng, non loin de Luo
Yang, la capitale régionale du Henan, avait été créé au premier siècle
de notre ère par un certain Batuo, nommé le « Premier
Ancêtre » et consacré en 496 par l’Empereur Xiaowen
des Wei du nord qui lui décerna le titre de « Premier Monastère
sous le Ciel ».
Il s’agissait donc d’un monastère déjà très connu avant l’arrivée de
notre Illuminé.
Selon
la légende, celui-ci, en arrivant au monastère commença une longue
méditation, immobile, devant un
mur. Cependant, au bout de trois ans de veille, le prince Bodhidharma
se laissa aller au sommeil et rêva des femmes qu'il avait jadis aimées.
À son réveil, furieux de sa faiblesse, il s'arracha les paupières et
les enterra. Quelque temps plus tard, il observa que les paupières
avaient poussé, donnant naissance à un buisson qu'il n'avait jamais vu
auparavant ; il en grignota les feuilles, et s'aperçut qu'elles
avaient
la propriété de tenir les yeux ouverts. Ses disciples chinois
récoltèrent les graines ; ainsi commença la culture du thé. Cette
découverte lui permit de prolonger sa méditation six longues années. Ce
faisant il se mit à comprendre le langage des fourmis et découvrit la
vérité.
Plan de Shaolin Shi
Le
Dhyâna devint alors, suivant une nouvelle transcription chinoise, le
Tian-Na,
littéralement « saisir, appréhender le Ciel », puis Chan-na
plus proche de la définition originelle indienne qui, à l’origine du
mot, signifiait « retrouver le centre ; agir centré ».
Bien plus
tard, le Chan-na fut transcrit Zen-na en japonais classique, puis Chan
et Zen, de même que Bodhidharma devint
Daruma en japonais et Shaolin Shi, Shorinji.
Originellement le Dhyâna sanskrit, le Chan chinois et le Zen japonais
représentaient bel et bien la même doctrine, le même enseignement...
qui, au gré du temps, des écoles et des sectes (littéralement qui se
séparent de
la branche originelle) trouvera de multiples expressions souvent
concurrentes sinon contradictoires.
Que se passa-t-il lorsque Bodhidharma voulut
transmettre son enseignement aux bonzes chinois ?
La tradition, toujours elle, affirme que ces bonzes, faméliques parce
que mal nourris, ne
pouvaient supporter l’immobilité que leur imposait la méditation.
Bodhidharma se souvint alors de diverses formes gymniques, plus ou
moins guerrières, qu’il avait étudiées pendant son jeune âge sous la
direction de son père. Ce dernier était, en effet, en sus de sa
fonction de roi, un haut initié de la caste des Ksattriyâs et
connaissait donc l’art du combat, proche de ce qui est,
actuellement en Inde, le Kalaripayat.
Il mit donc au point une méthode connue sous le nom évocateur de
« Nettoyage des muscles et des tendons, purification de la moelle
et des sinus »... connue
également sous la
dénomination de Ekkinkyo en japonais.
Cette méthode mi-gymnique, mi-martiale fit couler beaucoup d’encre
puisqu’elle fut considérée par certains comme étant à l’origine même
des diverses pratiques martiales réputées du
monastère de la Petite Forêt... donc de la plupart des Arts Martiaux
Chinois (Wushu) et, ce faisant des origines profondes des
Arts Martiaux (Bujutsu et Budo) japonais.
De
par ce simple fait il fut donc admis par de nombreux historiens,
principalement
japonais, que Bodhidharma, était le créateur, ou du moins
l’initiateur, des Arts Martiaux chinois et japonais dont l'ancêtre
commun était les Arts Martiaux indiens...
Cette
hypothèse est sympathique, mais semble néanmoins légèrement teintée du
désir quelque
peu japonais de minimiser l’influence chinoise. Or, il s’avère que les
pratiques guerrières, ou martiales (wu ou bu
représentant à la fois le
guerrier et le brave qui s’oppose à l’usage des armes, donc de la
violence) étaient amplement développées en Chine avant la venue de
Bodhidharma.
Sunzi dans ses « Treize chapitres sur l’art de la guerre »,
ouvrage écrit
au quatrième siècle avant notre ère, traite, par exemple, de l’Art du
Poing et en
conseille l’usage aux officiers... huit siècles avant la venue de
l’Illuminé en Chine.
Pour
ce qui est de Shaolin Shi... donc du fameux monastère de la petite
forêt il y a
également confusion savamment entretenue à dessein. En effet, si le
Monastère Shaolin du Songchan dans le Henan, au centre de la Chine,
est bien celui qui a reçu la visite de Bodhidharma, il a existé, en
réalité cinq monastères de Shaolin presque considérés comme des
succursales en
franchise. Le second, fondé en 756, était situé à Quangzhou, sur la
côte est. Le troisième, fondé en 1341, situé dans le sud prenait le nom de
Honglong (Dragon rouge)
tandis que le quatrième et le cinquième se situaient dans les environs
de Fukien et Chengdu.
Il s’avère que le monastère réputé pour les pratiques martiales telles
que souvent décrites était non celui du Songchan mais celui de
Quangzhou. C’est dans ce monastère que
prirent naissance les mythes des fameux labyrinthes et du tatouage avec
un tigre et un dragon ainsi que la création des « cinq styles de
Shaolin » issus de cinq moines ayant échappé à un
massacre lors de l'invasion des Mandchous : Hung Gar, Li Gar, Choi
Gar, Mo Gar, Liu Gar.
C’est donc principalement dans le monastère de Shaolin du sud que prit
place la tradition martiale
qui influença fortement le To-de d’Okinawa. Il y a encore quelques
années le premier monastère, celui situé près de Luo Yang était
totalement abandonné, fermé et envahi par les ronces, ayant subi une
première destruction sous les Xing en 1744, un important incendie en
1928 et divers pillages pendant la révolution culturelle.
À telle enseigne que les guides touristiques d’avant 1970 ne le
signalaient même pas et dirigeaient les rares touristes vers le
Monastère du Cheval Blanc (Bai Ma Si), alors considéré comme le
haut
lieu du Bouddhisme...
Depuis,
sous l’influence du tourisme martial, le monastère a retrouvé sa
splendeur de
jadis, recréée de toutes pièces avec ses bonzes pratiquants et ses
patriarches « professionnels » qui motivent la venue de
centaines d’autocars et la vente de souvenirs
« authentiques ».
D’ici quelques années on aura probablement retrouvé les fameux
labyrinthes et les urnes remplies de charbons ardents nécessaires aux
tatouages sur les avants bras...
Parions que les touristes crédules seront encore plus nombreux à tout
confondre, à tout accepter et à tout acheter... puisque cela se vend.
D'après
un texte de Georges CHARLES, expert en wu-shu, truffé d'incohérences et
d'absurdités. Mais n'est-ce pas là la caractéristique des légendes ?
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OKINAWA
Okinawa
L'île
d'Okinawa (littéralement : une corde sur l'océan) est le joyau de
l'archipel des Ryu-Kyu. Okinawa jouit d'un climat subtropical : la
température moyenne, à Naha, capitale d'Okinawa, est
de plus de 20°C pendant huit mois de l'année et au plus dur de
l'hiver
la température ne descend jamais en dessous de 10°C.
Pendant la saison d'été, de juillet à septembre, les typhons y sont
réguliers et particulièrement dévastateurs. Très souvent ils paralysent
à la fois la circulation aérienne et maritime. Le paysage dégage une
sensation de beauté et d'apaisement, avec le bleu limpide du ciel en
été et les couleurs magnifiques de l'océan dans lequel se reflètent les
récifs coralliens. La nature y est
abondante et forme plusieurs parcs naturels. Cependant le sol est mince
et la topographie souvent impropre à la culture.
Géographiquement,
Okinawa, située au cœur des Ryu-Kyu, chaîne arquée de plus
de 70 îles menant de la pointe sud du Japon à Taïwan, se
trouve à une croisée de chemins : 500 km au sud du Japon,
500 km au
nord de Taiwan et 740 km à l'est de la Chine continentale. La
superficie de l'île n'est que de 2 275 km2
pour une
longueur de 120 km et une largeur de 30 km. Malgré ces dimensions
modestes, plus de 200 clubs de karaté y prospèrent. Cette
densité exceptionnelle témoigne d'une histoire non moins exceptionnelle
des arts martiaux dans cette île mythique. Historiquement, l'île vécut
tiraillée entre ses deux voisins infiniment plus puissants, la Chine et
le Japon. Ouverte par la force des choses à toutes ces influences,
l'île devint un creuset original, où s'élabora avec le temps une
synthèse particulièrement féconde dans le domaine des arts martiaux.
Les premiers habitants d'Okinawa étaient vraisemblablement
originaires de Chine, des îles
japonaises septentrionales et du sud de l'Asie. Dès l'an 300 avant
notre ère, les influences culturelles du Japon et de la Chine se
faisaient déjà sentir dans l'île.
Il est probable que le Te, l'art martial local, soit vieux d'au moins
mille ans. À cette époque, la population d'Okinawa avait peu de
ressources, et les armes étaient rares. Or le pays était troublé, et la
nécessité d'apprendre à se défendre donna sans doute l'élan nécessaire
à l'apparition d'un art martial
à mains nues indigène.
Le style propre à Okinawa est cependant tout à fait unique, et les
influences étrangères ont toujours été adaptées pour les rendre
conformes aux principes du combat tel qu'il est pratiqué à Okinawa.
Okinawa
a été unifiée sous le règne du roi Sho Hashi de Chuzan en 1429. Vers
1470, avec
l'effondrement de la dynastie Sho commença une période d'instabilité
politique qui ne prit fin qu'avec l'établissement d'une nouvelle
dynastie (aussi appelée Sho) en 1477. Pour imposer son autorité aux
seigneurs de la guerre rebelles, solidement retranchés dans leurs
châteaux, le nouveau roi, Sho Shin, commença par interdire le port du
sabre aux nobles comme aux paysans.
Puis il ordonna de recueillir toutes les armes pour les placer sous son
contrôle, dans son château de Shuri. Enfin, il imposa à tous les nobles
désarmés l'obligation de venir vivre près de lui, dans la capitale
royale.
Il
est intéressant de noter que cette politique de désarmement, puis
«
d’assignation à résidence » des seigneurs rebelles d'Okinawa fut
imitée plus tard au
Japon avec les édits du sabre de Toyotomi en 1586, puis en 1634,
lorsque le shogun Tokugawa ordonna aux daimyo, ou seigneurs de
la guerre, de se rassembler
dans sa capitale.
L'âge
d'or d'Okinawa prit fin en 1609 : le Japon nouvellement unifié,
irrité
par le refus
d’Okinawa de reconnaître l'hégémonie du nouveau shogun, envahit l'île
et écrasa son armée. Le roi fut retenu à Edo (aujourd'hui Tokyo)
pendant trois ans, et, lorsqu'il rentra dans son pays, il n'était plus
qu'un pantin aux mains des Japonais.
Un fait capital pour l'histoire des arts martiaux dans l'île est que
les Japonais maintinrent l’interdiction de porter les armes et
continuèrent à exiger de la noblesse qu'elle reste sagement à Shuri,
alors que les samurai japonais avaient le droit de porter leurs
armes
dans l'île. Cette interdiction imposée aux habitants d'Okinawa ne fut
jamais levée.
De plus, au Japon, le pouvoir était détenu par les militaires (les shogun)
depuis le 12e siècle.
Cette culture militaire traditionnelle (pratiquement sans arme à feu),
qui dura sept siècles, avec ses guerriers
(les bushi et les samurai) et les différentes formes
de résistance à ce que le peuple ressentait comme une oppression vont
marquer de leurs empreintes les arts martiaux japonais et, en
particulier, l'Okinawa-te. C'est en effet le seul pays au monde dont
l'histoire est jalonnée par une aussi longue période de pouvoir
militaire impitoyable, avec une prohibition
totale des armes, sans la moindre interruption.
On
pense que deux mouvements se dessinèrent à Okinawa lorsque le roi Sho
Shin désarma les nobles et les rassembla dans sa ville de Shuri. D'une
part, les nobles apprirent et développèrent l'art du combat à main nue,
le Te. D'autre part, paysans et pêcheurs, privés de sabre, commencèrent
à utiliser comme armes les instruments de leur métier :
fléaux, poignées de meule, faux, brides de cheval et même rames se
transformèrent ainsi en armes mortelles, les Ryu-Kyu bu-jutsu
(arts de combat armé des Ryu-Kyu), ancêtres du kobudo étaient
nés. Ces orientations se maintinrent quand le
shogun imposa la domination japonaise sur l'île.
Les deux traditions s'entouraient du plus grand secret, et leur
diffusion resta largement limitée à leurs classes sociales d'origine.
Le Te était l'affaire des nobles de la cour, alors que les Ryu-Kyu
bu-jutsu se développèrent dans le peuple. Encore aujourd'hui,
plusieurs des plus grands maîtres de karaté descendent de familles
royales et nobles de la ville de Shuri.
Au 17e
siècle, le Japon se ferme progressivement : crainte d'invasions,
lutte contre le christianisme, renforcement de la cohésion interne, les
raisons sont multiples. Cet isolement presque total va durer jusqu'en
1853. Il explique en grande partie l'originalité de la culture
japonaise et de ses arts martiaux.
Le
karaté tel que nous le connaissons aujourd'hui est essentiellement le
produit d'une
synthèse qui eut lieu à la fin du 18e siècle entre l'art du
Te, originaire d'Okinawa, les arts chinois de la boxe du temple de
Shaolin et divers autres styles, qui étaient pratiqués à l'époque dans
la province du Fukien. S'y ajoutent le ju-jutsu que les samurai
pratiquaient en cas de perte du sabre (katana)
et le
Zen, sans doute la meilleure façon alors connue de maîtriser l'esprit.
Nous
connaissons l'histoire personnelle de plusieurs maîtres de Te de
l'époque. Certains
d'entre eux se rendirent dans le Fukien pour y
étudier. Inversement, un grand maître chinois, Kushanku (Kanku en
japonais), passa six ans à Okinawa ; le kata qu'il
enseigna alors porte aujourd'hui son
nom. Puis, au 19e siècle, l'art d'Okinawa commença à être
connu sous le nom de Tsang-te (kara-te en japonais),
c'est-à-dire « la main chinoise ».
Même si l'art était pratiqué en secret, généralement
en pleine nuit ou juste avant l'aube,
trois styles distincts commencèrent à apparaître, l'un dans la
capitale, les deux autres dans des agglomérations voisines. Le
Shuri-te, l'art qui se développa à Shuri, était pratiqué par les
nobles de la cour, alors que dans le port voisin de Naha et dans la
petite ville de Tomari, aux portes de Shuri, le peuple développa ses
propres formes de te.
Les particularités propres à ces styles sont souvent attribuées à des
traditions chinoises
différentes : le Shuri-te serait issu de la boxe du temple de
Shaolin, alors que le Naha-te (l'art pratiqué à Naha) aurait plutôt
adapté les techniques souples taoïstes qui font intervenir la
respiration et le
contrôle du ki, la force vitale appelée qi en chinois.
Le Tomari-te (l'art pratiqué à
Tomari) serait un mélange des deux traditions. Tout cela n'est que
suppositions
oiseuses, les experts en te, quel que soit leur style, ayant
tous
étudié la boxe de Shaolin au monastère de Fuzhou en Chine du sud. Les
différences sont plutôt dues aux caractéristiques physiques et mentales
de ces experts.
En
1853, un important fait transforma l'image de la pratique des arts
martiaux traditionnels : l'apparition des armes à feu que le Japon
découvrit avec l'expédition américaine Perry. Le déclin de certaines
valeurs sociales qui avait été amorcé au 17e siècle fut
accéléré par cette découverte suivie de près par l'abolition du
système féodal et la restauration Meiji en
1868. Ces événements marquèrent la fin de l'isolationnisme du Japon.
Gichin Funakoshi naquit cette même année à Shuri et, en 1879, Okinawa
était incorporée comme préfecture japonaise à l'empire de Mutso Hito.
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L’EXPANSION DU KARATÉ
L'enseignement
et la pratique de l'Okinawa-te ou To-de restèrent secrets jusqu'en
1900. Le voile fut levé en 1902 quand un commissaire de l'Éducation de
la Préfecture de Kagoshima, Shintaro Ogawa, recommanda d'inclure le
karaté dans le programme scolaire d'éducation physique de certaines
écoles de Shuri. L'Okinawa-te, qui ne s'appelait toujours pas karaté,
fut alors enseigné ouvertement, essentiellement comme méthode
d'éducation physique.
De cette époque, nous sont parvenus les noms de deux maîtres qui
allaient devenir les chefs de file des principales écoles actuelles :
Ankoh Itosu enseignait une méthode basée sur les techniques longues,
les déplacements rapides et légers (Shorin), tandis que Kanryo
Higashionna donnait la préférence à un style basé sur des techniques de
force, en contraction, et sur des déplacements courts surtout efficaces
pour le combat à faible distance (Shorei). Là encore, ces
informations reprises à l'envi sont sujettes à caution. De fait, Shorin
et Shorei sont deux traductions dans deux dialectes différents de Shaolin.
Leurs
références sont donc les mêmes et les différences entre leurs styles
reposent essentiellement sur leurs préférences personnelles. Ces deux
maîtres instruisirent des hommes
qui, un peu plus tard, révélèrent leur technique martiale au Japon.
C'est
Gichin Funakoshi, considéré comme le père du karaté moderne, qui en
1906 avec ses collègues fit la première démonstration publique à
Okinawa. De plus, en 1922, il fit connaître au Japon l'existence du
karaté lors d'une fête sportive (First National Athletic Exhibition)
qui eut lieu à Tokyo sous les auspices du Ministère de l'Éducation. Les
Japonais ne connaissaient, à cette
époque, que le ju-jutsu, une méthode dont le judo tire sa
source, et certaines formes de self-défense venues au Japon au
12e siècle
avec le bouddhisme Zen. Ils se mirent à l'étude de cette méthode de
combat encore inconnue et si efficace, sous la direction de Maître
Funakoshi.
C'est alors seulement que Maître Funakoshi coupa le lien avec l'origine
chinoise et
okinawaïenne de son art et l'appela KARA-TE (main vide en
japonais ;
même prononciation, mais idéogrammes différents). Tandis que certains
instructeurs continuaient à enseigner à
Okinawa une forme plus traditionnelle et plus proche de l'Okinawa-te,
d'autres voyant le succès de Funakoshi passèrent au Japon et y
apportèrent leur technique ; quoique celle-ci fut à chaque fois
légèrement différente, ils l'appelèrent tous karaté en raison de la
publicité dont cette désignation bénéficiait déjà.
À la
fin du 19e siècle, le Japon avait été impliqué dans une
série de guerres avec des pays asiatiques. L'utilisation des arts
martiaux traditionnels
devenait périmée en raison de leur peu d'utilité militaire dans une
société industrialisée, ce qui entraîna un déclin rapide des valeurs
militaires ancestrales.
Toutefois, les valeurs transmises par la pratique des arts martiaux sur
le plan de l'esprit et de la force physique étaient positivement
encouragées.
Au début du 20e siècle, la tradition nationale reconnaissait
l'apprentissage et l'usage du sabre comme l'art martial le plus
important au Japon. Certains principes reliés au kendo ont eu
une influence considérable sur la
pratique des arts martiaux tels que le karate-do, le kyudo,
le judo et l'aïkido. Comme la pratique du jutsu
se voulait traditionnelle et celle du do, moderne, plusieurs
éléments du code du bushido, « La voie du guerrier »,
ont été transformés dans la pratique par l'introduction de
nouveaux types d'assauts
où le but recherché était de réduire au minimum les blessures par des
équipements protecteurs et des règles, contrairement au duel d'antan où
le vainqueur émergeait par la mort du vaincu.
De la même façon que le ken-jutsu devint le kendo, le karate-jutsu
s'est transformé en karate-do , sorte de gymnastique
agrémentée d'une discipline mentale. Notons au passage que ce
changement
n'imposait pas de modification fondamentale de la technique et que la
finalité de maîtrise des adversaires pouvait fort bien cohabiter avec
une
recherche spirituelle. Aujourd'hui, des dojos existent, malheureusement
plus très nombreux, où l'entraînement ressemble fort à ce qu'il a pu
être un ou deux
siècles plus tôt.
Le
contrôle (sun-dome), c'est-à-dire l'arrêt des
atemi à quelques millimètres de leur cible, est sans doute ce qui a
permis au
karaté son extraordinaire efficacité. Il devenait possible de
s'entraîner
régulièrement sans se blesser tout en visant des points vitaux. Le
contrôle
existait certainement depuis longtemps, mais il a dû être systématisé
au
moment du passage du jutsu au do. Malheureusement,
aucun document
n'indique la date de son apparition lors des entraînements. On peut
toutefois
penser que l'entraînement au sabre (ken-jutsu) fut le modèle que
le karaté imita.
Pendant
les années 20 et le début des années 30, le karaté est devenu très
populaire auprès des personnes provenant de toutes les couches sociales
et particulièrement auprès des jeunes étudiants. Dans les années 40,
chaque université japonaise avait son club de karaté.
Après la deuxième guerre mondiale, une restriction sur la pratique des
arts martiaux dura deux ans et, en 1948, la Japan Karate Association
fut créée. Funakoshi en devint le président et le chef instructeur. En
1957, le ministère de l'Éducation la reconnut comme une organisation
d'enseignement.
Après
la guerre, de fréquentes requêtes des Forces Armées
Alliées en poste au Japon affluèrent demandant à assister à des
démonstrations d'arts martiaux. Des groupes d'experts en judo, kendo et
karaté furent formés, afin de visiter deux à trois fois par semaine,
les bases militaires et démontrer leur art respectif. En 1952, le
Strategic Air Command des États-Unis a envoyé au Japon des groupes de
jeunes officiers pour étudier le judo, l'aïkido et le
karaté dans le but de former des instructeurs en éducation physique.
Quelques années plus tard, les Japonais
firent petit à petit connaître le karaté dans le monde entier grâce à
des livres, des films et l'enseignement des premiers maîtres japonais
invités à cet effet.
Peu à peu, le karaté sortait de l'ombre et lorsque le
Maître Funakoshi, âgé de 88 ans, décéda en 1957, l'art qu'il apporta au
Japon avait
connu un développement tel qu'il ne pouvait plus tomber dans l'oubli.
Après la mort du maître, qui refusait toute forme de compétition, en
octobre 1957, fut organisé au Japon le First All Japan Karate-do
Championship Tournament et, en novembre, la All Japan Student Karate
Federation subventionna les premiers championnats universitaires qui se
déroulèrent devant des milliers de spectateurs qui consacrèrent en
quelque sorte la nouvelle orientation du karaté.
Toutefois,
l'orientation sportive du karaté moderne qui semblait inéluctable est
aujourd'hui contestée, essentiellement par deux types de
démarches :
d'une part celle qui reproche au karaté de compétition son manque de
réalisme et d'efficacité (ce n'est plus du karate-jutsu) ;
d'autre part, celle qui souligne l'absence de dimension spirituelle (ce
n'est plus du karate-do). Devant les difficultés que
rencontrent nos sociétés modernes, agressives, conflictuelles... le
retour à des valeurs traditionnelles éprouvées mobilise un public
fervent. Saura-t-il se faire entendre ? On en doute un peu, car le
public des compétitions est autrement bruyant et la perspective d'une
introduction du karaté aux jeux
olympiques sonne la quasi condamnation du karaté en tant qu'art
martial. Qui vivra verra !
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COMMENTAIRES
Les
Asiatiques ont toujours été friands d'histoires fantastiques et leur
crédulité a souvent permis de véhiculer les affabulations les plus
grotesques. Certes, comme ailleurs, les « lumières » ont
quelque peu
entamé cette crédulité, mais il en reste encore beaucoup. Prenons en
pour preuve le fait qu'actuellement, les films d'arts martiaux (dont
les Chinois raffolent) projetés en Chine n'hésitent pas à montrer des
combattants qui sautent par dessus des immeubles, qui paralysent les
adversaires grâce à un fluide mystérieux ou qui passent à travers les
murs. N'oublions pas non plus que certains styles d'arts martiaux
chinois se sont construits par l'observation du comportement des
animaux : la grue, le tigre, le léopard, le serpent, le dragon...
Oui ! il existe bien un style du dragon. Certains ont donc observé
cet animal comme d'autres ont vu le dahu dans les Alpes ou le yeti dans
l'Himalaya.
La Chine connaît l'écriture depuis très longtemps, mais, dans
les anciens écrits, les légendes (ou les recompositions historiques) y
sont plus fréquentes que les faits authentifiés.
La
culture japonaise repose entièrement sur la transmission orale jusqu'au
sixième siècle. Une langue écrite est alors développée sur la base des
idéogrammes chinois (les kanji), complétée à partir du huitième
siècle par des idéogrammes locaux (les kana). On conçoit bien
que l'usage de cette langue écrite ne se soit propagé qu'assez
lentement. Une grande partie de l'histoire du Japon n'a donc été écrite
que très tardivement avec toutes les erreurs, déformations et omissions
que l'on imagine. Ajoutons que les arts martiaux se sont développés le
plus souvent sous le sceau du secret, soit pour des raisons politiques,
soit pour des questions de rivalité entre clans ou écoles.
Après la fantaisie chinoise, nous sommes confrontés au mutisme
japonais.
Il
n'est pas besoin d'être grand clerc pour comprendre, compte tenu de la
cruelle absence de documents fiables, que tous les historiques rédigés
à ce jour sont pour le moins à prendre avec quelques précautions, pour
ne pas dire sujets à caution.
Alors,
qu'en est-il vraiment du karaté ? Ce qui est certain, ce sont les
multiples influences qui sont à l'origine de l'Okinawa-te, puis du
karaté. Ce qui est non moins sûr, c'est l'originalité du karaté en
comparaison des nombreux autres arts martiaux extrême-orientaux et
surtout son indiscutable raffinement qui lui confère
sa redoutable efficacité. Donc une part de création locale liée à une
dose d'apports externes ; quelle dose ? quels apports ?
pourquoi cette originalité ? Questions pratiquement sans
réponses.
D'où
vient le karaté ? Où va le karaté ? Nul ne peut répondre
objectivement, d'autant que la technique du karaté, comme les
langues
vivantes, est en constante évolution. Et quel rapport entre les
différentes
formes de pratique qui se réfèrent au karaté ? Karaté martial, sportif,
éducatif, ludique, artistique, thérapeutique... karaté
contact, karaté défense training, karaté-jutsu, body-karaté... Tout
au plus peut-on
définir ce que chacun pratique, reconnaître honnêtement si
l'appellation karaté est encore méritée et si le qualificatif art
martial a encore un sens. à
chacun de décider du contenu de son karaté et de l'orientation qu'il
souhaite lui donner.
Sakura
sensei
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