LA LETTRE DU GOSHIN BUDOKAI hiver 2006
agression
et autodéfense
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Homo
habilis se différencie de l’australopithèque il y a environ trois
millions d’années. Homo erectus le suit un million d’années plus tard.
Une lente évolution l’amènera à Homo sapiens (l’homme sage !),
puis à l’homme moderne, Homo sapiens sapiens (l’homme très sage !!!),
qui n’a guère plus de cent mille ans. Une des caractéristiques de cette
évolution est l’augmentation de la taille du cerveau (Australopithèque :
400 g ; Habilis : 600 g ; Erectus :
900 g ; Sapiens : 1 400 g). Même
si l’idée est controversée, on peut penser que l’augmentation de taille
va de pair avec celle des facultés intellectuelles. Or, depuis l’émergence
de Sapiens, les viols, les pillages, les tueries, la tyrannie ont alimenté
les angoisses de l’espèce humaine. De plus, les victimes d’un jour ont
toujours été promptes à devenir les bourreaux du lendemain. Est-ce bien là la
marque de la sagesse ? Même les grands singes dont nous descendons sont
infiniment moins violents. Et ce n’est pas la seule tare de l’homme :
- C’est le seul animal qui dégrade
sans scrupule son environnement ;
- La plupart des famines lui sont
directement imputables (guerroyer ou cultiver, il faut choisir).
La
violence et l’imbécillité seraient-elles inscrites dans nos
gènes ?
Quoi
qu’il en soit, la civilisation, qui instaure la loi et la justice,
développe l’éducation et élève le niveau de vie, semble bien en mesure de
contenir ces deux tares, mais jamais, en aucun lieu, la violence n’a totalement
disparu. Quant à la bêtise, son omniprésence est telle qu’on
s’émerveille lorsqu’un esprit formule quelques paroles de bon sens. Vivre en
harmonie grâce à une culture du dialogue et du respect fut pourtant le dessein
(ou le rêve !) de certains grands hommes d’État, de philosophes renommés
et de très nombreux anonymes (à l’influence malheureusement dérisoire) durant
toute la période qui s’étend de l’Antiquité à nos jours. Au sein même des arts
martiaux, qui ne pouvaient manquer d’émerger dans un tel creuset, des
maîtres ont plaidé pour la paix. Dans les grands corps militaires, des généraux
furent d’ardents pacifistes. Alphabétisation et éducation ont partout
progressé. Mais ce grand œuvre, malgré toutes ces bonnes volontés et en
dépit d’avancées incontestables, reste largement inachevé car, même civilisé,
l’homme demeure violent et stupide.
Au
surplus, la civilisation ne progresse pas uniformément : son
évolution est capricieuse, les rechutes fréquentes. Taux d’alphabétisation, PIB
par habitant, criminalité et délinquance sont des étalons courants du
niveau de civilisation. Or les statistiques sont
trompeuses : erronées, trafiquées ou grossièrement extrapolées,
élaborées à partir de données dissemblables et néanmoins comparées, elles
alimentent des polémiques interminables. Crimes et délits sont-ils en augmentation
ou s’agit-il d’un effet de loupe médiatique ? La civilisation
actuelle serait-elle décadente ? Difficile de répondre à cette dernière
question puisque le propre d’une telle civilisation est d’être inconsciente de
son état.
Peut-être
a-t-on connu des époques plus violentes, mais, aujourd’hui, au cœur de
ce qui est présenté comme la plus brillante civilisation humaine, le
constat est navrant, nul n’est véritablement à l’abri d’une agression ; pas
même les petits caïds qui imposent leur loi à tout un quartier. Cependant si
ces derniers subissent un jour le châtiment qu’ils se sont attiré, nous
n’irons pas pleurer sur leur sort même si la sanction semble
disproportionnée au regard de leurs méfaits. L’honnête citoyen, lui, mérite de vivre
dans un climat serein où rien ne menace sa sécurité. Malheureusement, la
réalité de ce vingt-et-unième siècle de l’ère moderne n’est pas conforme à cette
exigence fondamentale d’une société civilisée.
Les
raisons de cette violence, outre ce possible atavisme mentionné plus
haut, sont nombreuses :
- Les multiples carences de
l’éducation de la jeunesse contemporaine ;
- La banalisation médiatique de la
barbarie ;
- L’exclusion, toujours trop présente,
qui mène irrésistiblement à la délinquance ;
- L’alcoolisme et l'usage des
drogues, qui brouillent les repères sociaux ;
- Le fanatisme, qu’il soit religieux,
ethnique, politique ou sportif ;
- Le regroupement en bande qui confère
un sentiment de puissance et d’immunité ;
- L’agressivité latente de
tous, fruit des peurs viscérales, rancœurs et frustrations qui habitent
chacun de nous.
Ajoutons
l’impossibilité pour la police de tout surveiller (et de se soustraire
elle-même à toute forme de violence) et l’on comprendra aisément que l’agression
puisse surgir inopinément au coin de la prochaine rue. Que faire dans
un tel cas ? Et surtout que faire pour contribuer à bâtir ce grand
édifice : la paix universelle ?
Réfléchir avant d’agir
Quand
on explore rétrospectivement le monde des sports de combat ou des arts
martiaux (la frontière n’est pas toujours très nette), on découvre, d’un côté,
des experts qui font étalage de multiples victoires en combat au K.O.,
sur un ring ou dans une cage, voire dans la rue, de l’autre côté, des maîtres
dont la technique se pare d’un discours pacifique. À l’entraînement, la
supériorité des uns ou des autres n’est pas flagrante, mais les premiers prétendent
avoir l’expérience du vrai combat. Qu’est-ce qu’un vrai combat ?
C’est un combat pour la vie ; or ni les uns ni les autres n’ont
généralement connu cette épreuve.
Bien sûr, il peut être tentant, pour un karatéka de tester la valeur de
sa technique en provoquant lui-même une altercation violente, mais que va-t-il tirer de cette expérience ? Une petite
satisfaction pour l’ego ! Il aura surtout contribué à rendre le
monde encore plus violent. Ce n’est pas là le but des arts martiaux qui
prônent sérénité, humilité, courtoisie, compassion et dont le principal secret réside
dans l’éradication de l’ego. Le monde est malade de violence. Le maître d’art martial ne
doit pas être un vecteur de la violence, mais un médecin spécialiste de la
violence. Or un bon médecin n’a pas besoin d’être malade pour savoir
guérir.
Cependant,
il n’est pas exclu qu’un jour, lors d’un événement exceptionnel, un
budoka soit contraint d’utiliser son art, soit pour se défendre, soit
pour protéger une innocente victime. Alors, en ces instants décisifs, il
faudra entrer totalement, corps et âme, dans le combat. Un grand classique de
la Voie du samouraï, le « Hagakure » écrit par Jocho
Yamamoto (1659-1719), explique : « Le samouraï ne pense ni à la
victoire ni à la défaite ; il se contente de combattre comme un
fou jusqu’à la mort. C’est alors seulement que lui vient le succès. »
Finalement,
avec l’art martial nous poursuivons deux objectifs :
- Disposer d’une technique de défense
indéfectible (le physique).
- Rester serein dans les situations
difficiles et régler pacifiquement les conflits (le psychique).
Ces
deux objectifs s’acquièrent dans
l’ordre ci-dessus, le deuxième n’étant qu’une conséquence du premier.
Ensuite, les priorités s’inversent. « Le karaté est fait pour ne
pas
servir » disait Sensei Funakoshi.
Évidemment,
quelques considérations de bon sens éviteront des déconvenues
cuisantes :
- Pourquoi passer seul, alors qu'un autre itinéraire
est possible, dans un quartier réputé pour son insécurité ?
- Est-il bien nécessaire
d’afficher une opulence ostentatoire dans une ville pauvre du
tiers-monde (ou un quartier déshérité comme il en existe encore dans
certaines de nos grandes villes) ?
- Qu’a-t-on à gagner à jouer les
redresseurs de tort pour des broutilles insignifiantes ?
La
première étape consiste donc à suivre un entraînement assidu qui nous
donnera les outils nécessaires pour faire face aux différentes formes
d’agression. Toutefois, certaines astuces, attitudes ou manœuvres
salvatrices nécessiteront une réflexion préalable afin d’être mises en
œuvre. En effet, il ne suffit pas de transpirer au dojo pour assurer
sa sécurité et celle de ses proches. Encore faut-il le faire de façon
judicieuse. De plus, si la technique permet de gagner un combat, elle
est insuffisante quand on veut éviter l'affrontement. Or, c’est là
notre principal objectif : vivre en harmonie.
Comme
la sérénité se construit moins vite que la technique, mieux vaut
s’interroger sur la meilleure conduite à tenir dans le cadre d’une
agression qui nous surprendrait à un moment où nous n’avons pas encore
un mental à toute épreuve. Quelques schémas préétablis serviront de guide
et éviteront de sombrer dans la panique, mais il convient qu’à terme
chacun réfléchisse et construise ses propres solutions. N’oublions pas
ce que nous avons mis en lumière plus haut : l’homme moderne est
prédisposé à la violence et à la stupidité. Tout programme éducatif
sensé doit aboutir à la paix et stimuler l’intelligence (ainsi homo
sapiens sapiens mérite son nom).
L’art martial s’inscrit parfaitement dans cette optique.
Définition
En
droit, l’agression est une attaque contre les personnes ou les biens
protégés par la loi pénale. Le délit doit donc être effectif pour être
qualifié d’agression : au minimum des injures ou des menaces. Le
procès d’intention est exclu de notre dispositif pénal. Quelqu’un peut bien
projeter de nous tuer, si nous ne disposons pas de preuves tangibles
(une lettre de menace par exemple), nous ne pouvons entamer aucune procédure
officielle. Souvent, le champ du droit ne coïncide pas avec celui de la
psychologie. Une attitude provocante ou méprisante, des paroles apparemment
anodines, des gestes significatifs nous agressent parfois cruellement.
En outre, nous identifions facilement certains comportements comme
préludes à de véritables agressions. Il est donc normal, fréquemment
utile, voire indispensable, de réagir dès les prémices de l’agression
donc à un moment où la loi ne reconnaît pas un délit. Au risque d’être
soi-même accusé d’agression. C’est là toute l’ambiguïté du concept
d’autodéfense. C’est pourquoi nous nous efforcerons toujours d’éviter
les conflits, ce dont notre sérénité a tout à gagner.
L’agression
nécessite un agresseur et un agressé. Psychologiquement, mais avec des
prolongements factuels, s’il n’y a pas d’agressé, il
n’y a pas d’agression, même en présence d'un agresseur.
Explication :
Si
un individu nous traite de « ***** », deux hypothèses sont à
considérer :
- L’injure est gratuite, sans raison.
Pourquoi nous sentirions-nous blessé ? Nous n’avons aucun
problème ; c’est ce grossier personnage qui a un problème. Le
pauvre ! Laissons tomber.
- L’insulte est justifiée par
notre comportement. Il est certes vulgaire et maladroit, cependant il
formule un reproche que nous écoutons et comprenons. Ce n’est, au fond,
qu’une simple discussion : justifions-nous ou excusons-nous et
séparons-nous tranquillement.
Parmi
ceux qui ont l’impression d’être agressés très souvent, certains
sont aisément perturbés ; ils risquent d’envenimer la situation.
D’autres vont encore plus loin et assimilent une simple demande
(Avez-vous l’heure ? T’as pas une clope ?) à une violation de
leur droit à la quiétude, s’inquiètent, supposent des intentions
louches, deviennent agressifs. Ceux-là doivent envisager un travail de fond
sur leur approche psychologique de l’agression. Un psychologue peut aider,
mais la compréhension du processus de construction des idées aberrantes est
le fruit d’un travail personnel d’introspection. Je pense même que l’assistance
sollicitée auprès d’autrui est une forme de dérobade préjudiciable.
Nous devons prendre le taureau par les cornes et affronter nous-même sans
rechigner les difficultés nées des tréfonds de la psyché. Les plus grandes
batailles que nous avons à mener sont contre nous-mêmes et nous ne vaincrons pas
sans combattre. Il doit être en notre pouvoir, quand nous le désirons, de
juguler notre imagination pour ne considérer que la réalité, car personne ne la
verra pour nous. Notre sérénité bénéficiera largement de ce reformatage
psychique et le droit ne sera plus en décalage avec notre perception.
Quant
à l’anticipation dont nous avons parlé plus haut, elle devra
s’accompagner de la plus grande retenue pour ne pas déroger aux principes
fondamentaux de la légitime défense : en particulier la proportionnalité de la
riposte par rapport à l’agression.
Bien gérer l’événement
Plusieurs
solutions s’offrent à la victime d’une agression : se laisser faire,
fuir, appeler du secours, parlementer, dissuader, contrôler,
immobiliser, éliminer l’agresseur. Une progression sur l’échelle des valeurs
allant de la couardise au courage pourrait-on dire. Erreur ! Gravissime
erreur ! En l’occurrence la plus grave erreur est l’idée préconçue.
Toutes les solutions précédemment évoquées peuvent convenir, tout dépend du
contexte. La meilleure est celle qui permettra de surmonter l’événement avec la
plus grande sérénité. Pendant et après. N’oublions pas que nos gestes
peuvent avoir des conséquences : que se passera-t-il si nous blessons
gravement notre agresseur ? Quel sera, plus tard, notre état d’esprit si
nous ignorons les appels d’une victime d’agression violente ? Il serait
en effet facile d’éviter toute forme d’agression en fuyant
systématiquement ; mais quelle honte quand le faible, agressé, opprimé,
battu, violé montrera d’un même doigt son agresseur et le lâche témoin.
Le budo, avec son code d’honneur, son étiquette, ne se conçoit qu’au
service de la justice. Nous ne devons pas avoir à rougir ultérieurement de
nos actes. Nous ne devons pas non plus prendre des risques inutiles. Nous
devons prendre la juste décision.
Malheureusement, impatience, énervement, peur sont souvent
responsables d’une escalade, car ces émotions provoquent un repli sur
soi ; nous nous barricadons psychologiquement pour nous soustraire
à l’adversité. De ce fait, nous ne pouvons plus focaliser notre esprit sur
l’agresseur ; nous devenons sourds et aveugles. Pour que l’observation
soit correcte, aucune émotion ne doit nous étreindre. J’ai déjà, dans un
précédent article sur la peur, exposé différentes méthodes de maîtrise
des émotions ; rappelons-en une qui, sans être une panacée, donne
des résultats tangibles : la respiration profonde. Dès que
l’événement imprévu survient, avant même l’apparition des premiers
symptômes de l’émotion, respirons profondément
et longuement. Appliquée systématiquement, cette méthode, à défaut
d’éliminer toute perturbation, permet de conserver une dose de clairvoyance
suffisante pour analyser la situation et trouver la réponse adéquate.
Le
Hagakure, à la rubrique « comment combattre la nervosité » ne
contredit pas cette méthode mais y ajoute quelques éléments :
« Frottez-vous le lobe de l’oreille avec de la salive, respirez
profondément et brisez d’un coup le premier objet qui vous tombe sous
la main. C’est un procédé secret. » Humour ou suggestion sérieuse ?
à
chacun de juger.
La
vie quotidienne nous gratifie de nombreux événements perturbateurs qui
peuvent nous stresser. Nous en sortons énervés, les mains moites, avec un
rythme cardiaque qui s’emballe. Servons-nous-en d’entraînement :
vérifions la corrélation entre la respiration profonde (puis le bris d’un bibelot
si nécessaire )
et l’absence de stress. Abordons comme un jeu chaque aléa, chaque
difficulté et essayons de toujours conserver la plus grande sérénité. Facile à
contrôler : le cœur est calme, les mains sont sèches, nous nous
sentons bien.
Cependant
un piège existe : c’est la pression psychologique de l’entourage,
voire celle qu’on se met soi-même. Étudions ce problème à l’aide de la
notion de « courage ».
En
discothèque, trois hommes ivres nous importunent, nous insultent, nous
ordonnent de leur céder la place. Nous sommes tranquille et analysons
sereinement la situation. Ces messieurs sont incorrects, certes, mais
d’autres places sont disponibles. Nous passerons certainement une
meilleure soirée en évitant un conflit dont l’issue ne se conçoit pas
sans quelques désagréments. Meilleure solution :
partir s’installer ailleurs. Mais les amis, près de nous, savent que
nous pratiquons les arts martiaux. « Tu ne vas quand même pas te
laisser faire ? » Ils n’ont d’ailleurs peut-être pas formulé
cette phrase, mais nous imaginons qu’ils l’ont en tête.
Le piège est en place.
Et si, parmi eux, une jeune femme dont nous escomptons
quelque faveur nous observe, prompte à juger de notre courage, le piège
s’est déjà refermé sur nous.
Sauf
si nous avons le courage de ne pas jouer au mouton docile qui suit
l’imbécile troupeau. La raison nous préconise une action et, en dépit d’une
opinion hostile, réprobatrice, nous l’accomplissons. Cette femme a besoin
d’éprouver des émotions violentes ! Offrons-lui en mais sans sombrer
dans la basse besogne. De nombreuses activités sportives s’accompagnent
de vives décharges d’adrénaline ; de quoi combler les amateurs de
sensations fortes.
Dans
le cadre de l’exemple ci-dessus, le courage, pour un pleutre ignorant
les arts martiaux, serait d’affronter ces trois hommes. Mais ce serait
idiot. Et c’est pourtant ce qui risque de se passer.
Pour
un homme normal, disposant d’une connaissance martiale suffisante, le
courage consiste à se soustraire aux pressions psychologiques, n’écouter
que sa raison et agir avec logique après une analyse objective. Ici, le
courage est dans la fuite (appelons cela l’évitement si le terme séduit
mieux).
Le
sage n’a pas besoin de courage ; il fait ce qu’il doit faire. Pour
lui, les pressions psychologiques et les conditionnements n’existent pas.
Ainsi,
le courage, valeur morale fondamentale de toutes les sociétés humaines
(les barbares le vénéraient), n’est au fond qu’un simple a priori
qui, comme toute idée préconçue, déforme notre perception au point de nous
amener à des décisions totalement erronées. Tout événement, agression,
comportement surprenant, etc. doit être abordé avec une totale vacuité
d’esprit. Les techniques, astuces et méthodes auront fait l’objet d’une
étude préalable, au dojo ou en dehors, et seront inlassablement
répétées afin d’être assimilées comme des automatismes, lesquels ne
nécessitent pas l’attention et ne gênent donc pas le travail de l’esprit :
observation, analyse, prise de décision, action. L’intelligence au
service de la paix.
Mokuso !
Agressivité verbale
Si,
du verbe on arrive aux mains, dans la plupart des cas, c’est que notre
gestion de l’événement est erronée. Il est essentiel d’écouter attentivement ce
que dit l’interlocuteur, d’observer son comportement et d’enregistrer
tous les détails ou indices susceptibles de nous aider à mieux comprendre la
situation. Le plus souvent il nous livre lui-même la clé d’un
dénouement pacifique, mais il faut savoir entendre et voir. Les commerciaux
suivent des cours pour apprendre à bien écouter, preuve que cette qualité est
largement perfectible.
La
plupart des agressions
verbales se traitent par la fuite, l’indifférence ou le mépris :
insultes d’automobiliste irascible par exemple. S’ils sont nécessaires,
le discours ou le dialogue n’interviendront qu’après avoir compris les
mobiles de l'interlocuteur.
La
raison peut-elle venir à bout des excès de la passion ? Pas
sûr !
Pas toujours ! Pas souvent ! Les arguments logiques, le
raisonnement réussiront rarement à calmer l’hystérique. Il ne faut pas
s’entêter dans une réponse que l’on trouve logique ou pertinente si elle
ne donne pas le résultat escompté. Un argument simpliste, voire idiot
produit parfois un effet surprenant (demandez donc à nos publicitaires).
Parfois,
le verbe n’est qu’une étape programmée vers la violence physique :
la provocation a pour objectif de nous faire perdre tout contrôle, de nous
transformer en agresseur. C’est facile à repérer : insultes,
gestes agressifs, légères bousculades ; rien que l’on puisse qualifier
d’agression physique. La sagesse nous conseille de nous garder d’entrer
dans ce jeu-là et de rester vigilant. Sur le lieu de travail, au risque de
démêlés avec la justice, si l’on aboutit à un échange de coups, s’ajoute
celui de perdre son emploi. Prudence donc (cassons plutôt quelque faïence
) !
« Donne-moi ton portefeuille ou je te réduis en
bouillie. » Est-ce encore du verbal puisqu’on nous ordonne d’agir ?
Toujours est-il que cela peut rester au niveau verbal. Le voleur qui prononce
ces paroles le fait discrètement. Souvent il s’approche très près, après
avoir demandé du feu par exemple. Un second larron peut même nous coller
le dos pour nous intimider mais surtout pour camoufler le forfait. Cette
discrétion est nécessaire pour opérer, car cette manœuvre se déroule
fréquemment dans des lieux publics et fréquentés qui
permettront de se fondre dans la foule une fois le délit perpétré.
Pourquoi accéder à cette demande de discrétion ? Parlons fort,
avec emphase et agrémentons nos propos de larges gestes : « Ha !
mon ami, vous voulez mon portefeuille ! VOUS VOULEZ MON PORTEFEUILLE !
VOUS VOULEZ ME VOLER MON PORTEFEUILLE ! MAIS, C’EST UN VOL ! CET
INDIVIDU EST UN VOLEUR ! » Si nous nous sentons trop timide pour nous
exprimer ainsi, des cours d’art dramatique seront bénéfiques, mais le dojo est
suffisant : si nous nous appliquons à exécuter des gestes de
grande ampleur, à produire des kiai puissants et à ne pas nous dérober
lorsqu’une démonstration est demandée, toute trace d’introversion devrait
rapidement disparaître.
Dans
un lieu désert, nous éviterons de nous laisser approcher de trop près,
mais si le contact avec l’agresseur est inévitable une issue non violente est
toujours envisageable. Puisqu’il commence à parler, parlons, négocions,
atermoyons. Certains n’oseront pas en venir aux mains si nous n’engageons pas
nous-même les hostilités. Profitons-en pour nous déplacer, avancer vers un lieu
plus fréquenté. Bien entendu, ceux qui maîtrisent les techniques karaté et
goshin-budo pourront infliger quelques douleurs à l’agresseur qui se serait
fourvoyé dans le choix de sa victime, mais deux conditions sont indispensables
(rappelons que l’agresseur n’en est pas encore venu aux mains) :
- Il ne faut pas rater son coup.
Attention aux débutants qui pensent pouvoir reproduire ce qu’ils ont
fait vingt fois au dojo.
- Le dosage est impératif. Comment
convaincre un juge de l’obligation dans laquelle nous étions de casser
le nez ou le poignet de la « victime » si celle-ci déclare
qu’elle nous a simplement demandé une cigarette. Les techniques
dissuasives ne doivent entraîner aucune séquelle.
Cependant,
une extrême vigilance est de mise : un coup de poing demande
quelques dixièmes
de seconde ; un couteau sort en moins d’une seconde ; un
acolyte peut surgir inopinément.
Passons
à une forme d’agression où le verbe n’est que le prélude du crime.
Le
crime, viol ou meurtre, est une forme extrême de relation humaine.
C’est pourquoi il est souvent précédé d’un échange verbal : « Tu
vas payer tes crimes ! » ; « Tu ne te souviens pas de
moi ? Pourtant tu devrais ! J’ai fait dix ans de prison à
cause de toi ! » Point n’est besoin de sombrer dans la paranoïa
et de supposer cette escalade chaque fois qu’on nous adresse la parole.
Au contraire, se dire que celui qui souhaiterait nous occire aura presque
toujours la délicatesse de nous prévenir, car il a besoin de s'épancher
en paroles, nous laissant ainsi le temps de fuir ou de préparer notre
riposte.
La
grande majorité des procès pour viol met en lumière le fait qu’ils sont
l’aboutissement d’un processus dont le point de départ ressemble à un
banal discours de séduction. Cependant, la fébrilité, la vulgarité et
la hâte grossière du ou des agresseurs est palpable. Un observateur extérieur
sentirait aisément venir le vent mauvais, mais la jeune fille objet de
convoitise est souvent aveuglée par la satisfaction de se sentir
désirable ou par le plaisir d’exercer un pouvoir sur les hommes,
voire par une forme de tétanie mentale. Quand les choses se
gâtent, alors seulement, elle prend conscience de l’inéluctable. Trop tard.
Nous retrouvons ici cette dualité entre la raison (le réel) et nos pulsions
(phantasmes et conditionnements) qui nous poussent souvent en sens
inverse ; concepts proches de ce que Freud nomme principe de plaisir
et principe de réalité.
Le
crime est donc très souvent annoncé. Une petite dose de lucidité suffit
pour éviter de tomber des nues. Cela se travaille. Respirons.
Attaque à mains nues
Les
hostilités sont engagées ; au moins peut-on répondre sans crainte
d’enfreindre la loi. À condition, bien sûr, que la riposte soit
proportionnée à l’attaque. On nous saisit : dégageons-nous.
L’agresseur insiste, frappe : contrôlons, immobilisons, infligeons
une légère douleur, ripostons avec un atemi. Un K.O.
respiratoire ? Pourquoi pas ! Mais évitons les fractures,
cela pourrait être jugé disproportionné. Difficile ? Pour
un débutant : oui ! Pour un yudansha : non !
C’est ce que nous faisons quotidiennement au dojo. Vous n’êtes pas
encore 1er dan ? Entraînez-vous, ça viendra.
Deux
types d’attaques doivent être différenciés : les attaques que
nous voyons venir, certainement les plus fréquentes, et celles qui nous
surprennent. Ce n’est pas qu’elles soient fondamentalement différentes,
mais notre réponse sera forcément différente.
Nous
voyons l’agression se préparer quand elle est d’abord verbale, quand on
arrive vers nous avec un air furibond ou lorsque le contexte nous
apparaît clairement. Dans ce cas, les comportements d’évitement sont possibles,
toujours préférables dans l’absolu. Nous pouvons aussi surprendre
l’agresseur en anticipant son attaque. Attention au dosage puisque nous
frappons le premier. Sinon nous attendons sereinement l’attaque (on
peut briser calmement un peu de cristal pour faire très
« samouraï » )
: c’est du ippon gumite, niveau 1er
dan. On sera d’ailleurs souvent surpris par l’absence d’attaque :
notre attitude aura freiné les velléités bellicistes de l’adversaire.
L’adversaire
est caché ; l’attaque arrive de derrière ou de côté : plus
difficile ! Tout le monde n’a pas la vigilance d’un samouraï.
Cependant, si nous ne sommes pas K.O., nous revenons à une situation
proche de la précédente, mais il faut impérativement récupérer du choc que nous
venons de recevoir en adoptant une attitude de protection efficace. La
suite est du combat traditionnel. Attention, sans règles : protégeons bien
la tête et le bas-ventre. En cas d’étranglement, le premier réflexe doit être
de limiter la pression sur le cou en desserrant l’étreinte. Juste le temps
de bien repérer le placement de l’adversaire pour appliquer une technique
goshin-budo efficace. Si nous sommes ceinturé, bras libres ou bras
pris, toutes les solutions sont dans les kata. Nous ne les détaillerons
donc pas ici. Bien gérer ce scénario, compte tenu de la surprise et de
l’aspect peu conventionnel, nécessite un niveau de 2e dan.
Cependant,
il ne faut pas se méprendre sur les intentions de l’agresseur : ne
pas être armé n’est pas synonyme de clémence. Certaines agressions sans
arme sont animées par un profond instinct meurtrier. Les viols perpétrés par
des libido-psychopathes qui suivent leur victime et l'assaillent sauvagement dans un
lieu désert sont de cette nature. Ces malades sont des solitaires qui
n’hésitent pas à tuer (étranglement, étouffement, etc.) pour empêcher leur victime
de parler. Seule la pratique assidue d’un art martial peut sortir
d’affaire une jeune femme agressée par un de ces « serial killers » qui
défrayent la chronique de temps à autre. Les points vitaux doivent être
parfaitement connus, avec une prédilection pour les yeux lorsque le corps à corps
est engagé. Coudes, genoux, tête, mains et doigts sont bien plus efficaces que les
poings. Face à ce type de fou furieux, on ne se préoccupera pas des limites
légales de la légitime défense : on défendra férocement sa vie.
Agresseur armé
Nous
ne pouvons pas décrire toutes les armes blanches et les attaques
correspondantes ; le sujet est trop vaste. Limitons-nous à deux
objets représentatifs de la panoplie du parfait petit malfaiteur :
la matraque pour les objets contondants et le couteau pour les objets
coupants. En effet, sauf dans certaines zones de non-droit, où il vaut mieux
ne pas aller, l’agression se veut généralement discrète. Cela implique
des armes de petite dimension, faciles à dissimuler : couteau, rasoir,
matraque, poinçon, bâton court. Bâton long, barre de fer et batte de base-ball
sortent rarement des cités ghettos. Si, malgré tout, nous y sommes confronté,
les principes généraux développés pour la matraque et le couteau s’appliquent
avec une nuance importante : leur taille les rend beaucoup plus dangereux
à longue distance. Mais leur maniement est plus lent et inadapté au corps à
corps.
Si
nous excluons quelques rares professionnels, l’agresseur armé est
affublé d’un handicap quasi congénital : la manipulation de son arme
accapare la totalité de son esprit. Il s’ensuit une incapacité à frapper du bras
libre ou d’un coup de pied. Si nous immobilisons le bras armé, nous sommes à
peu près maître de la situation, mais la mise hors de combat doit
intervenir sans délai et résolument. Les hommes armés sont des hommes infirmes.
Une
matraque confère une faible profondeur d’attaque : loin, nous
sommes à l’abri ; en corps à corps, elle ne sert à rien et empêche de
saisir. Malgré toutes ces faiblesses c’est une arme dangereuse. Un coup sur la
tête sera presque toujours décisif ; il ne faut pas le prendre. La
meilleure défense, si on y est contraint, sera toujours d’entrer dans l’attaque
lors de sa phase de préparation pour casser la distance où l’arme est efficace. En
corps à corps, on amènera systématiquement la main sur les yeux de
l’adversaire. Plusieurs méthodes existent pour en arriver là. À
travailler au dojo. Ensuite, projection, atemi, contrôle ne rencontreront
plus d’obstacle.
Je
considère le couteau comme l’arme la plus redoutable. La lame coupe,
lacère, perfore, se plante ; l’extrémité du manche permet de frapper et un
bon lanceur de couteau est efficace à plusieurs mètres. Seul un cas de
force majeure doit nous imposer cet affrontement. Cela dit, comme pour la
matraque, l’agresseur muni d’un couteau n’a pas que des avantages.
Détaillons :
- La plupart des couteaux utilisés
dans la rue sont des crans d’arrêt. Leur équilibre ne convient pas pour
le lancer ; c’est toujours ça de gagné.
- Deux formes de préhension du manche
du couteau sont possibles :
- La lame sort du côté du petit
doigt : réservé aux films d’épouvante ou aux spécialistes
(heureusement rares) qui utilisent tout l’éventail des techniques de
couteau.
- La lame sort du côté du pouce
et de l’index : c’est ce que l’on voit le plus fréquemment. En
découle une importante limitation des attaques envisageables :
- De face, les coups de couteau visent
plutôt l’abdomen. Ce niveau d’attaque recueillera
l’essentiel de notre entraînement au dojo. Attention, le couteau
confère une allonge supplémentaire ; il faut esquiver plus tôt et parer plus
loin de son corps. En général, le combat est gagné quand nous réussissons à
contrôler l’arme en saisissant le poignet.
- Le second type d’attaque
le plus fréquent concerne les estafilades et les balafres. Il est
préférable de prendre ses distances et d’esquiver largement. Face à ce genre
d’agression, les risques de coupure sont énormes. S’enrouler
l’avant-bras dans un vêtement ou se protéger la main avec une chaussure permet de
dévier les attaques pour frapper de l’autre bras ou d’un pied.
Confronté
à ce danger ou à toute attaque similaire (tesson de bouteille),
l’imagination sera souvent plus efficace que la technique.
L’environnement
est à exploiter au maximum : projeter du sable (sur la plage) ou
un liquide (notre expresso à la terrasse d’un café) dans les yeux,
transformer des objets insignifiants (clés, cendrier, caillou, verre, assiette) en
projectiles, interposer une table (ou tout autre mobilier) entre
l’adversaire et soi, tourner autour d’un obstacle (une automobile dans la rue),
utiliser une chaise tenue par le dossier pour le repousser, une queue de billard
ou un parapluie pour le frapper, tout est bon pour se sortir de ce mauvais
pas. Et, sauf en cas de nécessité absolue, nous ne manquerons pas de nous enfuir
dès que possible.
Si
aucune échappatoire n’est possible, souvenons-nous que le mode
d’ouverture d’un cran d’arrêt amène le tranchant de la lame à l’intérieur de la
garde adverse. Par sécurité, il vaut mieux mettre au point des
techniques de défense qui nous placent à l’extérieur de l’attaque.
Les
menaces avec une arme blanche doivent s’étudier séparément.
L’agresseur
nous ordonne quelque chose : « Donne ton fric ou je te
plante. » L’agression est donc d’abord verbale, évidemment étayée d’un argument
« pointu ». Rien ne nous oblige à obtempérer immédiatement.
S’étonner, faire répéter, tergiverser fera gagner du temps. L’agresseur, on le
comprend aisément, voudrait un dénouement rapide ; notre allié est le temps
qui passe. Chaque seconde gagnée entame l’assurance de l’adversaire et
permet l’arrivée d’un secours éventuel. Pour le karatéka qui est, au dojo,
habitué à réagir instantanément à l’attaque, ce délai offre
l’opportunité de fignoler une vigoureuse et juste riposte. Cependant,
avec un couteau sur la gorge, il ne faut pas jouer les mariolles si on ne
maîtrise pas la technique appropriée. Faire don de son sang au caniveau ou se
délester de quelques billets ; le choix n’est peut-être pas si compliqué.
Dans
de telles situations, ne surestimons pas nos capacités ; quelque
humilité sera bienvenue. Si nous sommes dépassé, limitons notre résistance,
contentons-nous de parlementer ou fuyons si c’est possible. Mais si
notre niveau le permet, que nous sommes serein et lucide, alors allons-y,
dissuadons l'assaillant de poursuivre son méfait et surtout d’en
perpétrer d’autres : luxation, fracture, K.O. Surtout, ne réutilisons
pas son couteau contre lui ; il est trop difficile de prévoir les
conséquences d’une blessure à l’arme blanche.
Le
recensement des manières de menacer avec un couteau fournit une courte
liste :
- De face, la menace peut
concerner la gorge et l’abdomen avec la pointe du couteau, les organes
génitaux avec le tranchant.
- De profil, le côté du cou et le flan
(à l’emplacement du hikite) sont visés.
- De dos, les reins avec la pointe, la
gorge avec le tranchant.
Nous
ne décrirons pas ici toutes les techniques mais exposerons quelques
principes.
D’abord,
nous devons éloigner ou dévier le danger. Le point menacé doit
s’éloigner du couteau en même temps que l’on repousse la main armée en sens
inverse. Voici un exemple sur une menace de face, couteau à peu près vertical, lame
en haut, la pointe sur la gorge : nous saisissons à deux mains le
poignet qui tient le couteau en le tirant vers le bas puis en le plaquant contre
notre buste. Simultanément, nous élevons notre corps en montant sur les
orteils et soulevons le menton pour l’écarter de la pointe de l’arme. Celle-ci est
contrôlée, l’adversaire obligé de se pencher en avant et de fléchir les
jambes. Ensuite, nous pouvons porter un atemi, placer une clé
de poignet, projeter, immobiliser et désarmer l’adversaire.
Si
nous ne voyons pas de solution technique, nous pouvons commencer à
satisfaire la demande de l’agresseur ce qui l’amènera à modifier sa position, son
attitude et sa menace. Peut-être parviendrons-nous à une situation plus
conforme à ce que nous sommes capable de maîtriser.
Un
couteau dans les reins, il suffit d’avancer pour se dégager de la
menace. Mais si l’adversaire nous maintient de son autre bras à la gorge, cette
manœuvre est impossible. Cependant, cet avant-bras nous indique quelle main
tient le couteau. Il suffit alors de pivoter rapidement à l’intérieur de sa
garde pour écarter la menace à l’aide d’un gedan barai, placer
aussitôt une clé
de coude (contrôle du bras armé) du même bras et porter simultanément
un atemi (hiza geri par exemple). Attention à la manière de
pivoter (s’applique aux menaces dans le dos, sur le flan ou à l’abdomen) :
il faut rester en contact avec la pointe du couteau, c’est facile à sentir,
pour que celui-ci soit dévié. Si on se décolle, le pivot modifie la partie du
corps exposée sans supprimer la menace.
Au
dojo, les premiers essais sont presque toujours défectueux. Évitons
donc d’improviser sur le terrain. Et soyons très modeste : même un très
haut gradé peut être blessé. La plupart des solutions d'évitement
valent mieux que l’affrontement.
Je
ne sais si l’histoire est vraie. Joe Lewis, un des premiers champions
américains de full-contact dans les années 70, aurait, face à la menace d’un
couteau, tout bonnement éclaté de rire. L’agresseur, décontenancé, se serait
rapidement éclipsé. Bravo !
Si
nous sommes attaqués à la mitrailleuse lourde, il est difficile de
parler encore d’autodéfense. Restreignons nos investigations aux pistolet et
revolver, armes suffisamment discrètes pour l’usage qui nous préoccupe
ici.
À
mon avis, ces armes sont moins dangereuses qu’un couteau. Du moins pour
celles qu’on risque de rencontrer le plus souvent. En effet, les gros
calibres, ceux qui utilisent des munitions qui vous traversent en faisant des dégâts
monstrueux, sont rares. Finalement, les blessures par balle sont moins
graves que les blessures au couteau (sauf à la tête). Et puis, un point
capital est à souligner : on peut attraper à pleine main le canon des armes à
feu. L’équivalent sur un couteau est impossible puisqu’il y a le risque de
se trancher la main.
Toutes
les techniques de défense contre les menaces avec une arme de poing
vont exploiter la saisie du canon.
Plusieurs précisions s’imposent :
- Le canon d’une arme à feu ne devient
brûlant qu’après le tir de nombreuses cartouches. Un seul tir ne nous
brûlera pas la main.
- Les mécanismes d’éjection
de la douille ou de rotation du barillet ne consomment qu’une faible
fraction de l’énergie produite par l’explosif. Si la main est placée sur la
trappe d’éjection ou sur le barillet, le mécanisme ne fonctionne pas et aucune
blessure sérieuse n’est à craindre (elle sera de toute façon moins
grave qu'une balle dans la tête).
- Le levier constitué par le
canon permet de retourner facilement l’arme en direction de son
détenteur.
- Le pivotement de la bouche du
canon vers l’agresseur peut provoquer le lâcher de la crosse ou une
fracture du doigt posé sur la détente. S’il n’a pas lâché, il est, de toute
façon, dans une position inconfortable et trop centré sur son arme pour voir
venir l’attaque que nous allons porter de notre main libre, du coude, d’un
pied ou d’un genou.
- Un adversaire très agressif
risque de tirer pendant la réalisation de notre technique de défense,
mais, la surprise aidant, notre geste sera bien plus rapide que le sien et le
blocage du mécanisme dû à notre saisie interdira un deuxième tir.
Le
moment délicat est celui de la saisie du canon. Comme nous l’avons
décrit pour le couteau, deux mouvements simultanés sont nécessaires : un
très rapide déplacement du corps pour sortir de l’axe de tir et la saisie du
canon que l’on pousse en sens contraire (même schéma qu’une esquive doublée
d’une parade). La manière dont on s’empare du canon doit idéalement
permettre un retournement complet de celui-ci vers l’agresseur sans
changer de main. Toutefois ce geste de saisie n’est pas très difficile puisque
l’arme est immobile.
Là
encore, il est souhaitable d’avoir testé ces techniques au dojo avant
de tenter l’aventure, mais une fois maîtrisées, elles semblent beaucoup
moins aléatoires que les défenses sur attaque au couteau. Insistons sur
l’importance du déplacement du corps en prenant comme exemple une
menace sur la tempe. Le seul mouvement de saisie est insuffisant, car il est trop
lent et se voit trop facilement. Le recul de la tête prend quelques centièmes de
seconde ; aucun tireur n’a des réflexes aussi rapides. À l’instant où il prend
conscience de notre mouvement, notre main s’empare du canon et l’empêche de
suivre notre déplacement.
Défenses
contre couteau et contre arme à feu présentent donc des similitudes.
Dans les deux cas il faut écarter ou dévier la menace et saisir, soit le
poignet, soit le canon. Une nuance toutefois à considérer : si le couteau
cherche les parties molles, la menace à l’arme à feu concernera souvent des parties
osseuses telles que la tête, la cage thoracique ou la colonne
vertébrale. En conséquence, les techniques de défense seront sensiblement différentes
avec chacune de ces deux armes.
Si
l’agresseur reste à plusieurs mètres et commence à tirer, il faut fuir
en zigzag, se protéger derrière un obstacle, etc. Mais tout le monde a
déjà vu cela au cinéma. Revoyez donc les classiques du genre.
Agresseurs multiples
Toutes
les analyses précédentes n’envisageaient qu’un seul assaillant ;
il est normal de commencer par des situations simples. Cependant nous
devons impérativement adopter une règle stratégique : repérer dès le début de
l'offensive les possibles comparses de l’agresseur. S’il n’en a pas, tant mieux,
mais nous ne devons pas être surpris par l’apparition inopinée d’un deuxième
ou d’un troisième adversaire. Ainsi, au cas où nous serions amené à
riposter sans avoir eu le temps d’inspecter le champ de bataille, dès
que nous maîtrisons l’agresseur, il est indispensable de se retourner
(comme après chaque attaque dans Heian-shodan) pour faire face au complice éventuel
qui pourrait nous arriver dans le dos. Nous pouvons exploiter ce pivot pour
projeter ou interposer notre agresseur entre nous et ses acolytes. Au dojo cette
manœuvre peut paraître incongrue, mais replacée dans son contexte, on en
comprend tout l’intérêt.
La
plupart des individus à qui nous risquons d’être confronté ne sont pas
des héros sans peur. Leur belle assurance ne traduit souvent que la
présence de quelques copains dans les parages.
- Si nous terrassons immédiatement l’agresseur, les copains
s’éclipseront discrètement (prudence quand même ! Il existe des téméraires
inconscients, ce qui justifie notre technique de demi-tour après avoir contrôlé
l’agresseur).
- Si nous succombons, nous ne les verrons pas beaucoup non plus,
sauf si nous sommes sur un terrain où ils se sentent chez eux : là, ils
viendront parader.
- Mais, en cas de décision
incertaine, de combat qui s’éternise, il est fort probable qu’un ou
deux viennent prêter main forte à leur pote (de préférence par-derrière).
Repérer
et dénombrer la force adverse est donc primordial. Notre stratégie en
dépend : dialogue, fuite ou combat.
Envisageons
maintenant plusieurs assaillants visibles dès le début de l’agression.
Un
groupe est généralement dirigé par un leader (celui qui dispose de
l’ascendant psychologique sur les autres membres). C’est parfois
le plus vieux ou le plus fort, mais pas toujours. Le repérage du leader
est la clé de notre stratégie.
- Si nous cherchons la discussion, c’est avec le leader qu’il
faut l’engager.
- Si nous passons à l’attaque,
c’est le leader qui doit tomber le premier. Parfois il dispose de ce
qu’on nommait autrefois un champion : l’armoire à glace du groupe,
généralement avec une mine patibulaire et un pois chiche à la place du cerveau
(Homo non sapiens), derrière laquelle tout ce beau monde se planque. Avec le
bagage physique et technique nécessaire on pourra éventuellement s’offrir un
joli kumite, mais le K.O. ou le contrôle du chef de bande
constituera une bien meilleure stratégie. Dans ce cas on assistera souvent à
une débandade dans les rangs des suiveurs, y compris celle de l’armoire à glace trop
occupée à soigner son mentor.
- Si nous sommes attaqué avant d’avoir pu prendre nous-même
l’initiative, nous répliquons durement et dès que possible nous nous tournons vers
le leader.
Quand
on ne parvient pas à identifier un leader, la gestion du combat devient
plus intuitive. Cependant, l’entraînement de base du karaté et du
goshin-budo (kata, kihon et kumite), complété par des
ju gumite contre deux ou trois
adversaires, fournira quelques clés :
- Contre plusieurs adversaires, nous devons nous montrer expéditif.
Le modèle à exploiter est le ippon-gumite. Une technique précise avec
un excellent kime (revoir l’article sur ce sujet) est indispensable.
- Les deux ou trois malfrats susceptibles de nous agresser ne sont pas,
en général, des professionnels ; leur stratégie est le plus souvent inexistante et
débouche sur une simple succession d’attaques. C’est du ippon gumite
en série.
- Dans le cas où nos adversaires
adopteraient une stratégie plus performante (attaques simultanées),
c’est notre placement par rapport à eux qui devient primordial : ne
jamais se laisser encercler ou rompre l’encerclement dès qu’il se produit. Se
placer dos au mur est tentant (pas d’attaque par l’arrière), mais risque de
compromettre notre travail d’esquive. Il faut donc laisser derrière soi
un espace suffisant pour esquiver, insuffisant pour qu’un adversaire
s’y introduise. Cependant, la meilleure tactique réside le plus souvent
dans une extrême mobilité.
- Nos déplacements doivent nous permettre de surveiller toute
la surface de combat (voir les pivots des kata) ;
il est impératif de savoir à tout moment où se trouvent tous nos adversaires.
Les
kata finissent souvent sur une défense. Diverses interprétations
sont possibles dont une, intéressante sur les plans pratique et philosophique :
les adversaires, dissuadés, cessent le combat ; nous aussi (la
vengeance n'est qu'une escalade de la violence ; elle est à l'opposé de la
philosophie des arts martiaux). Ce sera notre objectif : faire cesser les hostilités
aussi vite que possible. Diverses manœuvres sont imaginables :
- S’inspirer des kata qui débutent lentement :
techniques de dissuasion douce (dégagement sur saisie par exemple). Si nous ne sommes
pas encore dans l’extrême violence, nous pouvons tenter de l’éviter en montrant que
nous sommes intouchables : dégagements, esquives, voire projections ou parades
fermes, le tout sans contre-attaque et avec le sourire.
- À l’opposé, un K.O.
d’emblée est impressionnant et largement dissuasif (atemi et/ou
projection contre un mur).
- Sur un adversaire immobilisé,
une menace de luxation, fracture, perforation des yeux (les doigts en
appui sur les yeux) ou avec son arme s’il était armé, aura un fort effet
dissuasif sur les complices. D’autant plus efficace si c’est le leader qui subit
notre contrôle et la menace.
- Après désarmement d’un
adversaire, l’équilibre des forces est largement modifié puisque nous
sommes désormais armé. Nous pouvons alors envisager de revenir au dialogue
(toujours préférable à un combat au couteau).
- La projection d’un adversaire
dans les jambes de ses copains peut nous offrir l’opportunité de la
fuite (toujours une excellente issue).
Un
combat a priori désespéré peut rapidement basculer si nous prenons dès
le début les bonnes décisions.
Le
niveau nécessaire pour que la probabilité de vaincre plusieurs
adversaires soit réelle tourne autour de 3 ou 4e dan, nettement
plus s’ils sont armés. Cela ne veut pas dire qu’un 1er kyu ou
1er dan ne s’en sortira pas, mais sa victoire reste aléatoire.
De toute façon, face à plusieurs adversaires armés, l’issue du combat repose beaucoup
plus sur notre vivacité d’esprit que sur notre technique, même si celle-ci
est indispensable.
Une
femme attaquée par plusieurs hommes ne doit pas hésiter à crier
(kiai, appel à l’aide). En cas d’agression sexuelle, surtout pas de
fatalisme ; elle résistera impérativement, mais pas de façon désordonnée.
Les rafales de coups de poing sur un blouson de cuir ne servent à rien. Si les
poignets sont saisis, il ne faut pas qu’elle tire pour se libérer, elle doit
observer correctement la saisie pour appliquer la technique de dégagement
convenable. Chaque action exige précision et détermination ; il sera délicat
de faire deux fois la même technique. Si l’opportunité ne se présente pas,
il faut la provoquer. Par exemple, quelques coups de genou au bas ventre
donneront peut-être l’occasion de planter un doigt dans l’œil de l’agresseur.
Aucune clémence n’est concevable : une morsure ne doit pas faire
mal, mais profondément couper les chairs et les kansetsu waza
iront systématiquement jusqu’à la luxation. L’objectif n’est pas de maîtriser
plusieurs hommes : le contrôle d’un seul avec une menace de séquelle grave
permettra de faire cesser l'agression.
Je
sais, tout cela n’est guère réjouissant, mais pour affronter les difficultés
de la vie, point d’autre solution que de s’y préparer. C’est le prix à
payer (en plus du budget pour renouveler la vaisselle
), dans notre
monde turbulent, pour continuer à jouir sereinement de l’existence.
Nous pourrions bien sûr imaginer une attaque
opérée par un important groupe de tueurs professionnels entraînés et armés.
Même si j’étais 10e dan, je préférerais tenter le record
du 1500 mètres.
Aider autrui
Il
m’est arrivé de vouloir secourir une femme violemment frappée par un
homme. Celle-ci s’est retournée vers moi et a hurlé : « De quoi
tu te mêles ? » Suivaient quelques amabilités que je ne
retranscrirai pas.
Après une telle mésaventure, on serait tenté de
ne plus intervenir dans des cas semblables. Et de laisser faire
l’inacceptable ; d’être complice.
Tant pis si nous sommes mal accueilli. C’est
le code d’honneur des samouraïs qui doit nous conduire : dignité,
respect et justice. Notre droiture ne doit subir aucun accroc. Certes,
il est bienséant de demander si l’on souhaite notre aide, mais nous ne
saurions nous dérober même au prix de quelques désagréments
ou désillusions. Cependant, cette façon d’être ne peut pas exister à un
endroit et être absente en un autre lieu. Comment se comportera dans la
vie celui qui, au dojo, est vulgaire ou méprisant ? L’étiquette du
dojo doit être scrupuleusement respectée et chacun doit afficher la plus
grande courtoisie. Un exemple : quand on souhaite inviter quelqu’un pour
un exercice à deux, on se place devant lui et on le salue. Il nous rend
notre salut et l’exercice commence. Arriver derrière et donner un coup de
pied dans les jambes n’a rien d’un geste amical ; c’est totalement déplacé.
Toutes les familiarités doivent être prohibées dans un dojo ;
elles sont la marque d’un laisser-aller préjudiciable.
L’enseignement
dans un vrai dojo poursuit de nobles objectifs, la technique n’étant
qu’un moyen au service de l’élévation spirituelle du budoka. Je n’ai
jamais répertorié toutes les vertus inscrites dans le code d’honneur des
samouraïs auquel le budoka se réfère. La raison en est simple :
nos chevaliers moyenâgeux cultivaient les mêmes vertus et les esprits nobles
de notre époque (gentleman) suivent des règles similaires. Ce sont des
préceptes universels et intemporels. À une nuance près : la puissance
supérieure du samouraï (liée à son statut, son armement et sa technique)
lui imposait des vertus encore plus grandes : noblesse oblige. La
technique apprise au dojo confère un pouvoir au budoka. Ce pouvoir
peut être dévoyé. Aussi doit-il impérativement s’accompagner d’une noblesse
d’âme garante de la quiétude de notre société. Un dojo qui oublie l’étiquette
n’est plus un dojo.
Quel que soit le code, l’entraide figure parmi
les vertus cardinales (la fraternité de la devise française). Mais, pour aider,
il faut en avoir les moyens ; on ne peut, et on ne doit, aider que dans
son domaine de compétence. Je vois parfois certains karatékas gradés conseiller
et corriger (c’est ce qu’ils croient) un débutant qui réalise un exercice bien
mieux qu‘eux. La solidarité est une excellente chose, mais on doit connaître
ses limites afin de ne pas importuner. Si nous assistons à une agression armée,
il sera bon d’abord de s’interroger sur la nature de l’aide à apporter. On sera
peut-être plus utile en téléphonant qu’en s’interposant.
Parfois, c’est vrai, une action rapide est
indispensable, mais je crois, en général, préférable de n’agir qu’après une
parfaite observation. Une dame est menacée d’une arme à feu devant un distributeur
de billets. Allons-nous agir immédiatement ou laisser le gangster ramasser la
liasse de billets et essayer de le coincer ensuite ? La précipitation ne risque-t-elle pas
d’être fatale à cette dame ? Ne pourra-t-on pas assommer cette crapule
quelques mètres plus loin, quand l’arme aura été remisée au fond d’une poche ?
En situation de stress, nous perdons une partie de
nos moyens physiques. Malheureusement, nous perdons aussi la plus grande partie
de nos moyens intellectuels. Sauf grande urgence (est-ce si fréquent ?) nous
commencerons toujours par respirer profondément quelques secondes ; elles
seront bien utiles pour comprendre exactement la situation.
L’art martial doit être au service de la justice.
Gardons-nous d’une justice expéditive.
Pour conclure
En écrivant cet article, je ne souhaite pas inquiéter
le lecteur. Certes, toutes les situations évoquées ici sont plausibles, mais avec
une probabilité de plus en plus faible quand on s’élève sur l’échelle de la violence.
- L’agression verbale, c’est notre
quotidien. À tel point que certains n’y discernent même plus de la
violence (voir certaines enquêtes auprès des collégiens). Nous en
faisons notre terrain d’entraînement pour la maîtrise de l’esprit.
- Les rixes, à moins d’aimer ça, ne
nous concerneront guère si nous évitons soigneusement les lieux à la
réputation sulfureuse. Si, malgré tout, nous y sommes mêlé, attention,
nos décisions doivent conduire à la résolution du problème, pas à une aggravation
(fracassons plutôt une porcelaine
).
- Se faire voler, éventuellement
avec menace ou violence, peut arriver à n’importe qui. Ce n’est pas
encore très grave. L’entraînement nous fournit de bons outils, mais la vie
vaut plus qu’une poignée de billets, ne l’oublions pas. Et pas de fierté mal
placée : nul ne sera déshonoré s’il a remis son portefeuille sans
combattre.
- La majorité des femmes n’aura pas à
affronter le viol ou la tentative de viol. Heureusement, car l’épreuve
est particulièrement traumatisante. Mais, dans l’hypothèse du
pire, il vaut mieux disposer d’une bonne préparation physique et
technique. Évidemment, un art martial est indispensable (ce qui est baptisé
« self-défense », sans être dénué d’intérêt, est notoirement
insuffisant), mais, le plus fréquemment, le principal outil sera
psychologique : étudier et comprendre la psychologie de l’agresseur,
certes, mais surtout dominer la sienne et développer
une qualité d’observation irréprochable. Pour cela, je l’ai expliqué
dans de précédents articles, il faut se débarrasser des influences néfastes
de l’ego, de nos passions, de nos conditionnements, et faire appel à la
froide raison, à l’objectivité absolue. Cette vacuité de l’esprit offrira
la possibilité de penser à la tentative de viol, de s’y préparer, sans
vivre dans la crainte permanente de cet événement.
- Une agression par un groupe
organisé destinée à nous tuer : nous sommes en plein cinéma !
Quoique… être
victime d’un hold-up ou d’une prise d’otage n’est pas exclu. Si le pronostic
n’est pas vital, il faut se garder d’envenimer les choses et d’exposer
la vie d’autrui. Dans le cas contraire, il convient d’utiliser des
méthodes comparables à celles des terroristes. Assurément, certaines formes
extrêmes de violence sont répugnantes mais, lorsqu’on doit lutter contre des
individus qui ont abandonné toute forme d’humanité, il est de notre devoir
d’entraver par tous les moyens leurs pulsions meurtrières.
Cela
étant, se comporter en héros quand la mort est inéluctable n’est pas
très difficile (la plupart des résistants français fusillés durant la
seconde guerre mondiale chantaient la Marseillaise lors de leur exécution).
Mais, l’espoir d’être épargné si on ne bouge pas, l’idée d’un hypothétique
secours, la croyance en un reste de pitié chez les assassins rendent
beaucoup plus ardue la prise de décision. Toute confusion entre la réalité et
nos constructions mentales sera fatale. En de tels instants, la maîtrise de
l’esprit est cruciale. Le Hagakure prescrit : « Tenu de
choisir entre la mort et la vie, choisit sans hésiter la mort. »
Le
budo est avant tout un état d’esprit, une recherche d’absolu :
perfection gestuelle, perfection mentale, perfection morale.
L’entraînement doit envisager les situations les plus folles, les plus
compliquées, même si nous sommes persuadé de ne jamais avoir à affronter
de telles difficultés, et nous conduire à la maîtrise totale jusque dans
le moindre détail. Quand nous dominons la technique qui permet de faire
face à des éventualités extrêmes, les aléas de la vie courante nous
apparaissent comme de simples broutilles et nous les expédions sans le
moindre état d’âme.
Cependant,
la maîtrise technique n’est jamais atteinte sans la maîtrise mentale,
or cela demande du temps, de la persévérance. L’âge (aucune tranche d’âge
n’est à l’abri de l’agression), le temps qui passe, un niveau qui
stagne ne doivent donc pas être des alibis pour s’arrêter, d’autant que,
chacun peut aisément le constater (à condition de ne pas vivre perpétuellement
dans l’illusion), dès l’interruption de l’entraînement, le niveau baisse
inexorablement. Dans toutes les activités sportives, les performances
progressent jusqu’à un maximum puis déclinent. Alors, la grande
majorité des sportifs s’arrête. L’art martial associe le corps et l’esprit, ce
qui le distingue de l’activité sportive (au Japon, il y a encore peu de
temps, les articles de presse sur les arts martiaux paraissaient sous la
rubrique « culture »). Quand, au dojo, les prouesses techniques
s’estompent, l’esprit compense en explorant d’autres voies et permet
d’aller encore plus haut, toujours plus haut. À Okinawa, une grande
partie des hommes âgés pratique le karaté ; et pas pour faire de la
figuration ! Si j’étais un malfaiteur, je préférerais affronter un
jeune champion plutôt qu’un vieux maître qui connaît toutes les astuces
et les enrichit jusqu'à son dernier souffle, car une des avancées
spirituelles majeures de celui-ci réside dans son acceptation sereine
de la mort. Cela lui confère une supériorité absolue.
Lors
d’un stage à Okinawa, un très vieux maître, en seiza, rendait
le salut que lui adressaient ses élèves. Comme il est de coutume, les élèves
attendaient que le maître se relève pour se relever eux-mêmes. Mais le maître
restait incliné depuis 30 secondes… 1 minute… 2 minutes… N’y tenant plus, le
sampai se leva et s’approcha du maître. Au moment où il lui posait
une main sur l’épaule, le maître s’effondra : mort.
J’aimerais mourir comme lui.
Sakura sensei
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